Le Folio, tout corné trônait dans la bibliothèque familiale depuis des années. J'étais curieux, il est vrai, depuis le lycée déjà, de me plonger dans les écrits de Simone. Mais je sentais une réticence maternelle dans ses affirmations selon lesquelles ce livre était "pas génial, en tous les cas, ça ne vaut pas Sartre". Alors j'ai lu Sartre, un peu. Et puis, le temps est passé et la curiosité a triomphé. J'ai fait fi des réticences maternelles, tout émoustillé par le stupre que j'imaginais trouver dans les pages du roman. Pensez, Simone qui raconte un trio amoureux. Ma sulfureuse lecture démarra. J'étais fébrile, persuadé de violer quelque interdit. Je fis la connaissance de Françoise Miquel et de Pierre Labrousse un couple d'intellectuels parisiens qui passent leur temps dans les cafés de la capitale à boire, fumer et parler des autres, Gerbert, Élisabeth, Tedesco, Canizetti et autres. Ah, m'exclamais-je, Simone, petite friponne, tu ne m'auras pas ! Labrousse c'est Sartre, évidemment ! Mais Labrousse est beau, Sartre intelligent. Hmmm. Je commençais à comprendre que Simone de Beauvoir s'amusait à brouiller un peu les pistes. Tenez, par exemple, l'invitée, Xavière est apparemment l'amalgame entre deux sœurs. Assez rapidement donc, j'ai laissé de côté mes préconceptions et je me suis lancé dans la lecture d'un roman qui racontait une relation compliquée, un amour à trois. Simone de Beauvoir décortique avec une méticulosité chirurgicale les relations entre les différents personnages. Ainsi Françoise aime-t-elle Pierre mais est fascinée par Xavière qui aime bien Gerbert que Françoise apprécie... Il y a aussi des pédérastes qui ne sont pas trop regardants et tout un microcosme parisien qui sort toujours aux mêmes endroits. L'ambiance est très réussie quoique déconcertante : nous sommes à la veille de la seconde guerre mondiale, ce qui sera la drôle de guerre pour la France. D'abord insouciants puis angoissés, les membres de l'intelligentsia parisienne s'abandonnent dans leurs aventures amoureuses finalement dérisoires. Le style de Simone de Beauvoir est précis et déconcertant mais j'ai aimé passer du temps avec ses "personnages". On se demande s'il est possible finalement à un trio de fonctionner. Inévitablement, alors que l'on tente de percer le mystère de cette invitée, on sent que la fin, inévitablement tragique approche. Au fil des pages, on nous livre des réflexions sur l'existentialisme, les relations entre les personnes et des perles comme celle-ci :
"Quel sens cela peut-il avoir pour moi de travailler en exil ? Pour désirer laisser des traces dans le monde, il faut en être solidaire."