Est ce que c'est ici que les choses sérieuses commencent ? En tout cas, je trouve qu'il y a une nette différence entre ce roman et les précédents de l'auteur. Et ce dans tous les domaines.
Là encore, "L'oeil dans le Ciel" porte en lui les germes des futures obsessions de K.Dick qui seront développés de façon plus profondes et complexes plus tard. Ici, on est dans l'application de sa vision de la réalité. Lui qui disait que "la réalité n'est qu'une question de point de vue", ce n'est jamais aussi vrai que dans ce roman.
Dont l'histoire démarre dès les premières lignes, sans trainer en longueur. 8 visiteurs sont victimes d'un accident lors de la visite du bevatron, un accélérateur de particules ; à leur réveil, ils découvrent un monde qui ressemble au leur mais qui est régi par des règles bien différentes : il marche à la foi. Pour obtenir quelque chose, il suffit de prier Tétragramaton, le dieu qui règne sur cette réalité étrange. Très vite, ils comprennent qu'ils sont en fait toujours inconscient et qu'ils se trouvent dans l'esprit de l'un d'entre eux. Reste à savoir lequel. Tiens, alors la thématique religieuse, qu'on pensait apparue sur le tard dans l'œuvre de l'auteur, serait bien plus ancienne? Pas exactement.
Les 8 camarades d'infortune ne sont pas au bout de leur peine puisqu'ils vont découvrir que même en neutralisant le responsable, ils se retrouvent alors piègés dans une autre réalité, vision déformée du monde vue par le prisme d'un autre esprit. Les voilà donc contraint de traverser des réalités fantasmées, défaillantes, toutes plus tordues les unes que les autres, sans trop savoir quand s'arrêtera le voyage, un peu à la manière de voyageurs interdimensionels.
"L'oeil dans le Ciel" est une réussite à tout point de vue. L'écriture de K.Dick s'est considérablement améliorée ici, son intrigue est originale, inventive et ne souffre d'aucune longueur ou remplissage. Et surtout, l'ensemble est traité avec beaucoup d'humour, malgré l'horreur de la situation. Et c'est délectable.
L'intrigue repose sur une structure qui se répète à chaque fois : imaginer un monde sous un prisme idéologique précis, modifier les éléments en fonction et trouver le responsable et comment le neutraliser. Le tout avec toujours une phase de dialogue savoureuse entre deux personnages.
Le roman comporte même une dénonciation du racisme d'une grande intelligence, chose pas forcément fréquente à l'époque, qui plus est dans un roman de science-fiction. On pourra juste regretter que les personnages féminins ne brillent toujours pas par leur intelligence ou leur complexité mais ça reste un détail.
Tout ça fait de cet "Oeil dans le ciel" une sorte de curiosité assez plaisante, un roman mineur certes, qui n'a pas encore la complexité de futurs grands classiques, mais mêlant avec beaucoup de réussite effroi et humour. Il serait dommage de passer à côté.