Il m'est apparu en seulement quelque pages que ce récit à la première personne allait se distinguer, et c'est donc avec plaisir que je me suis plongé dedans. Le narrateur, Severian, est un jeune étudiant de la guilde des bourreaux. Un personnage atypique, donc, également affublé d'une mémoire eidétique. Severian n'est evidemment pas un ange, loin s'en faut, mais il n'est pas non plus un monstre. C'est pourquoi il trahit sa guilde et doit s'exiler, tiraillé par sa conscience d'une part, et sa volonté de satisfaire les idéaux que les bourreaux lui ont inculqué, d'autre part.
Ces objectifs contradictoires seraient suffisants pour une histoire intéressante avec des personnages complexes, mais l'auteur ne se serait pas satisfait de si peu. A peine Severian sorti de sa citadelle, ses aventures prennent une tournure psychédélique. Autour de la trame de son exil se greffent de multiples personnages, retors, rocambolesques, mystérieux, ainsi que de nouveaux objectifs pour notre héro. Il évolue dans un monde décrépit, bâti sur les ruines anciennes de civilisations oubliées. Le décor évoque parfois quelque chose de vaguement familier, mais plus souvent l’étrange et le mythe. Gene Wolfe suggère que le monde tel que nous le connaissons a disparu depuis des millénaires, ou peut-être encore bien plus longtemps. L’humanité s'est envolée dans les étoiles, en est revenu, repartie, d'autres civilisations nous ont rendu visite, ou bien leur influence, puis sont reparties, ou bien ont été oubliées. Quelle que soit la réalité ce de monde, elle est complexe, et ni Severian ni les autres personnages n'en ont une compréhension proche de complète. Pour eux, la technologie accessible se présente comme un acquis évident, un artifice magique, ou une forme de spéculation semi-scientifique entre les deux.
Wolfe nous présente tout cela via la perspective de Severian. Il fait un boulot sensationnel pour monter une perspective construite, homogène et convaincante, mais pour nous complètement bizarre et mystérieuse. Il faut suivre avec attention, se concentrer sur les détails, s'immerger dans l'esprit du narrateur.
Ce premier livre est donc une réussite de mon point de vue. On se sent parfois confus, mais l'impression générale est celle d'une aventure dont la destination importe peu, car, c'est bien connu, c'est le voyage qui compte. J'ai enchaîné la suite sans hésiter.