Randolph M. Nesse avait publié en 2013 Pourquoi tombons-nous malade ? où il vulgarisait des notions de biologie de l'évolution dans le champ de la médecine. Dans cet ouvrage de 2019 traduit et publié en 2021, il se propose de nous faire découvrir durant 14 chapitres les apports de la biologie évolutionnaire dans la compréhension de l'origine des troubles mentaux.
La première partie de son ouvrage sert d'introduction aux grands principes de ce qu'il appelle la "psychiatrie évolutionnaire".
Il fait le constat d'un écueil sur lequel la psychiatrie risque de s'échouer : il est fréquent d'entendre aujourd'hui que "les troubles mentaux sont des maladies du cerveau". Mais « pratiquer la psychiatrie en n’adoptant qu’un seul point de vue revient à vivre enfermé entre les hauts murs d’une tour. »
Quelles sont les causes des troubles mentaux ? La réponse qui fait aujourd'hui consensus est le modèle bio-psycho-social.
Randolph M. Nesse nous propose donc de rechercher l’avenir dans le passé évolutionnaire.
Ce que nous apprend la biologie évolutionnaire c'est que le processus de sélection naturelle façonne des corps et des cerveaux qui optimise la « fitness » darwinienne dans l’environnement naturel : la sélection naturelle favorise les traits qui favorise le succès reproductif et en conséquence augmente la transmission des gènes associés à ces traits.
Pour exemple, un gène responsable du vieillissement pourrait devenir universel s’il procurait des avantages durant la jeunesse.
Les maladies ont 2 types d’explications : les explications immédiates et les explications évolutionnaires.
Les maladies ne sont pas des adaptations : elles n’ont pas d’explications évolutionnaires et n’ont pas été façonnées par la sélection naturelle. Ce sont les aspects du corps qui nous rendent vulnérables aux maladies qui ont des explications évolutionnaires.
La psychiatrie évolutionnaire est la partie de la médecine qui se demande pourquoi la sélection naturelle nous a laissés vulnérables aux troubles mentaux.
La nouvelle question
La médecine évolutionnaire pose des questions en adoptant le point de vue de l’ingénieur.
Pourquoi la souffrance ? Parce que notre cerveau a été conçu pour le bien de nos gènes, pas forcément pour le nôtre.
L’anxiété et la mélancolie existe parce qu’elles sont utiles dans certaines situations. Elles sont souvent excessives pour de bonnes raisons évolutives.
Les troubles mentaux sont-ils des maladies ?
Les troubles mentaux sont des maladies spéciales :
- Elles n’ont pas de causes spécifiques identifiées
- Elles ne peuvent être diagnostiquées par des tests
- Elles n’ont pas d’anomalies tissulaires significatives
Les troubles mentaux sont définis par des ensemble de symptômes.
La méthode check-list a pour inconvénient de laisser penser que le diagnostic contiendrait toutes les informations nécessaires. En cela, il néglige les circonstances existentielles déclenchant le trouble.
Le diagnostic est essentiel mais insuffisant sans la description du contexte de vie et d’apparition des symptômes.
Lors d'études scientifiquement validées, on diffusait à des spécialistes des vidéos d’entretien diagnostic : les résultats de l'étude montrait que les psychiatres posaient un diagnostic de schizophrénie chez 69% des patients à New York contre 2% à Londres. Les diagnostics n'étaient pas reproductibles. Il y eut ensuite, l'expérience de David Rosenham de l'université de Stanford. Des volontaires se sont rendus aux urgences en décrivant des symptômes le jour de leur arrivée, puis dans les jours qui suivaient arrêtaient d'avoir ces symptômes. La majorité ont été diagnostiqué à tort d'une schizophrénie.
Un nouveau manuel diagnostique à la rescousse le DSM-3 (1980)
En tant que solution à la crise de fiabilité diagnostique des années 1970, la réussite du DSM-III dépassa toutes les espérances. Cependant, l’exploration détaillée des circonstances des patients a été délaissée. Un autre constat invite à la prudence : la comorbidité est la règle, et au sein d'une catégorie diagnostique, il existe une grande hétérogénéité des symptômes dont se plaignent les patients. Enfin les catégories du DSM n’ont pas été validé par la recherche biologique.
Vers un modèle authentiquement médical
On part aujourd'hui du principe que les troubles spécifiques proviennent d’anomalies cérébrales spécifiques et sont dès lors mieux traités par des médicaments et autres thérapies physiques.
Or :
- Certains symptômes sont d’abord des défenses protectrices. L’inverse
est le modèle des « Symptômes Vus comme des Maladies » (SVCM) - De nombreux syndromes ne sont pas définies par des causes précises.
- Certaines affections ne relèvent d’aucune anomalie tissulaire
précise, mais de la dérégulation des systèmes de contrôle.
L’heure est venue d’abandonner le fantasme voulant que chaque trouble mental ait une cause spécifique.
Pourquoi nos esprits sont-ils si fragiles ?
Pourquoi l’évolution nous a-t-elle rendus si vulnérables aux maladies ? La sélection naturelle façonne des cerveaux maximisant le nombre de descendants capables de survivre et de se reproduire à leur tour ; ce qui est différent d’optimiser la santé ou la longévité.
De plus, les variations génétiques qui diminuent la survie et la reproduction d’un individu peuvent néanmoins devenir plus fréquentes si elles profitent à des apparentés.
1. Décalage : notre corps n’est pas adapté aux environnements modernes
2. Infection : les bactéries et les virus évoluent plus vite que nous
3. Contraintes : il y a certaines choses que la sélection naturelle ne peut tout simplement pas faire
4. Compromis évolutif : dans le corps tout a ses avantages et ses inconvénients
5. Reproduction : la sélection naturelle maximise la reproduction pas la santé
6. Réponses défensives : des réponses comme la douleur et l’anxiété sont utiles face aux menaces.
Après cette entrée en matière, l'auteur passe en revue les grands chapitres diagnostiques à l'analyse évolutionnaire. Les constats et les analyses qu'ils proposent sont d'une grande originalité et contestent nos idées reçues sur les troubles mentaux. Le niveau de preuve dans chaque cadre diagnostique n'est pas toujours au plus haut niveau mais la démarche est intéressante.
La psychiatrie évolutionnaire a pour objectif de lancer des ponts entre les différents champs de la psychiatrie qui apparaissent aujourd'hui irréconciliables.