Curieusement, mon premier contact avec l'œuvre de Lawrence Block ne s'est pas fait dans une librairie, mais bien au cinéma.

Je garde en effet un un souvenir très net de l'effet qu'a eu sur moi la bande-annonce de l'adaptation de Balade entre les tombes avec Liam Neeson. Je me souviens avoir été aussitôt frappé par le caractère très noir et sordide du film : quelques plans et répliques me sont d'ailleurs restées en tête plusieurs années après.


À l'époque, je ne lisais pas, et je ne connaissais donc ni Lawrence Block, ni sa série de romans mettant en scène le personnage de Matt Scudder.

Je ne sais même plus si cette bande-annonce faisait mention de son statut d'adaptation, et il me semble que sa promotion tournait surtout autour de Liam Neeson. Au début des années 2010, ce dernier s'imposait alors comme une véritable star du cinéma d'action grâce au succès de Taken.


Une décennie plus tard, je me suis enfin plongé dans les romans de Lawrence Block, devenant très vite amoureux de son écriture ainsi que de son héros Matt Scudder à la lecture de Huit millions de façons de mourir et d'Une Danse aux abattoirs. Ce n'était qu'une question de temps avant que je ne lise Balade entre les tombes, qui s'est immédiatement imposé comme l'un des tous meilleurs opus de cette série.

Le point de départ est ici particulièrement morbide : Matt Scudder se voit chargé par un riche traficant de drogue de retrouver les assassins de sa femme, qui ont massacré cette dernière après l'avoir rançonné.


Sans doute inspiré par l'affaire Bittaker-Norris, où deux serial killers enlevèrent et tuèrent des jeunes femmes en Californie à la fin des années 70, Lawrence Block livre ici un récit où la violence faite aux femmes constitue la principale source d'effroi. Matt Scudder y traque un duo d'ogres faisant preuve d'un sadisme exacerbé, à l'instar des antagonistes au centre d'Une Danse aux abattoirs. La relation sentimentale qu'il entretient avec Elaine, sa petite amie prostituée, offre aussi un contre-poids saisissant à cette enquête. Scudder cherche à s'ouvrir davantage et à faire progresser leur couple, mais reste pourtant assez distant, car terrifié par la perspective de la perdre. En effet, il connait mieux que quiconque les monstres qui se cachent parmi les hommes, en particulier ceux qui n'aiment rien de moins que s'en prendre aux femmes.

Cet aspect là est d'ailleurs totalement absent de l'adaptation filmique, et c'est pourtant l'un des points les plus intéressant du roman.


Lawrence Block fait de nouveau valoire une écriture brute et réaliste, sans toutefois jamais verser dans la complaisance. L'horreur des crimes y est décrite sans ambages, mais l'auteur veille cependant à ne pas tomber dans une débauche gore qui aurait beaucoup nuit à l'œuvre.

Block semble ici avoir particulièrement bien compris la manière dont pense les psychopathes récidiviste ; Le dialogue entre Matt Scudder et l'abominable Ray est aussi glaçant qu'il est terriblement juste. Un court extrait vaudra sans doute mieux que mille mot :


"Elles ne sont pas réelles, a-t-il répété. Les femmes. Elles ne sont pas réelles. Ce sont des jouets, c'est tout. Quand vous prenez un hamburger, êtes-vous en train de manger une vache ? Bien sûr que non. Vous mangez un hamburger. [… ] Quand elle marche dans la rue, c'est une femme. Mais à l'instant où elle monte dans la camionnette, c'est fini. Ce n'est plus que des pièces détachées."

Le final est à l'image du regard très réaliste que porte Lawrence Block sur les hommes. Pour lui, il n'existe pas de justice en dehors de celle que l'on s'octroie, et le sort affreux que réserve Keenan Khoury à Ray, le meurtrier de sa femme, l'illustre très bien.


Si j'aime autant le personnage de Matt Scudder, et qu'il est peut-être mon personnage de détective préféré dans le vaste monde du roman noir américain, c'est qu'il se situe aux antipodes de l'archétype du "super-flic". Cette figure de l'enquêteur incorruptible et héroïque, malheureusement trop souvent présente dans les romans de James Ellroy par exemple.

Scudder est au contraire un alcoolique en pleine rémission, qui n'est pas particulièrement hardi ni très adroit. Il n'a pas pour vocation d'éradiquer le crime ni la misère sociale, puisqu'il sait que c'est impossible. Il ne se fait aucune illusion sur son métier de détective ainsi que sur les quelques vies qu'il parvient sauve ; car une affaire résolue donne souvent suite à une nouvelle, plus horrible encore.


Scudder se démarque en revanche par sa résilience et son opiniâtreté, ainsi que par son envie de bien faire, même lorsque tout semble perdu. Sa quête de rédemption et son attitude stoïque me le rende tout particulièrement attachant.


Balade entre les tombes n'est peut-être pas la porte d'entrée la plus facile pour découvrir Lawrence Block et sa série mettant en scène Matt Scudder, mais il compte toutefois parmi les opus les plus marquants de celle-ci.

C'est aussi l'un des plus noir et dérangeant, compte tenu de son intrigue qui semble tristement inspirée de faits réels.






LounisBrl
8
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Créée

le 6 déc. 2024

Modifiée

le 9 déc. 2024

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