Gueules Noires m'avait conquis avant même que je ne le vois.
Sa première bande-annonce, vantant un film d'horreur français, s'inspirant de The Descent ou d'Alien tout en exploitant le folklore et l'histoire de l'Hexagone, promettait monts et merveilles. En très grand fan des séries B bien troussées et sans prétentions, Gueules Noires ne pouvait que figurer en tête de mes attentes pour cette fin d'année : car ce type de cinéma-là me semblait jusqu'à présent inédit en France, si l'on omet quelques lointaines tentatives d'Alexandre Aja ou de Xavier Gens.
Autant vous dire que lors de mon visionnage, je me suis vite retrouvé aussi piégé par mes attentes que les personnages du film par leur hubris.
Gueules Noires est un film réalisé avec beaucoup de courage et de passion, mais dont les qualités indéniables se retrouvent gâchées par une écriture paresseuse, une direction d'acteur approximative, et une mise en scène très bancale.
Son postulat de départ, certes usé jusqu'à la corde par un millier d'œuvres avant lui, fonctionne plutôt bien durant toute la première heure. On a envie de croire au mystère de cette mine, à sa mythologie, et au groupe de personnage que nous présente le récit. Si ces derniers sont faiblement caractérisés, et se révèlent rapidement être des archétypes, le soin apporté au casting, à leurs "gueules" donc, est à souligner. Si les dialogues sonnent creux et parfois faux, je crois à Samuel Le Bihan dans son rôle de leader franc et coriace, rescapé de la guerre et probablement ex-résistant comme le suggère un dialogue avec le directeur de la mine.
Idem pour Amir, dont le personnage est vraiment une caricature du jeune héro en devenir, mais dont le statut de rookie au sein de l'équipe, couplé à une certaine candeur, le rendent assez sympathique.
Les décors sont crédibles, les costumes aussi, la lumière tient la route, alors même que l'idée de réaliser un film dans des mines est une véritable gageure.
Même lorsque nos protagonistes pénètrent enfin dans la crypte, lieu de tous leurs futurs tourments, le réalisateur Mathieu Turi semble encore avoir la main sur son film : un grand soin a été porté au design du sarcophage qui trône-là de manière lugubre, ainsi que les dizaines de squelettes et cadavres qui y gisent depuis des siècles.
Seulement, dès lors que la créature se trouve réveillée, et que le film entre bille-en-tête dans le genre du survival, les problèmes sur lesquels le spectateur pouvait faire preuve de mansuétude se trouvent aggravés, grossis à l'excès.
Impossible, par exemple, de déterminer si Jean-Hughes Anglade joue terriblement mal en raison du script, de la direction d'acteur, ou s'il est tout simplement un très mauvais comédien. Reste que son personnage de savant fou n'est pas crédible une seule fois dans le film, tant l'acteur semble lire ses répliques à chaque prise, et que ces dernières semblent tout droit sortie d'une mauvaise bande-dessinée des années 50. De même, si Amir et Rolland sont en effet plutôt charismatiques ou attachants, il m'a été en revanche impossible de m'attacher aux autres membres de l'équipes, tant ces derniers m'ont paru caractérisés par un seul trait de leurs personnes : Paulo est gros, Santini est italien, Miguel est espagnol, et Louis est un con, faute d'un meilleur mot pour le décrire. Leurs morts successives, si elles restent toutefois très impressionnantes en raison d'un travail conséquent sur les effets-pratiques et le gore, n'ont émotionnellement que très peu d'intérêt.
Toutefois oui, comme je viens de le mentionner, j'apprécie grandement la minutie des effets spéciaux et leur générosité en matière de gore. Le film ne fait pas dans la dentelle, et avoir un long-métrage français qui semble autant s'inspirer du travail de Stuart Gordon (Re-animator, From Beyond) fait un bien fou. Les morts sont systématiquement marquantes car pour le coup, elles sont vraiment graphiques (décapitations, éventrement, nuque rompues etc.)
Impossible de poursuivre la présente critique sans parler de l'éléphant dans la pièce : cette fameuse créature qui décime un-à-un notre équipe de mineurs, et les accroches qu'entretient le film avec l'œuvre de H.P Lovecraft.
Oui, vous avez bien lu, le film s'inspire effectivement de l'écrivain de Providence, citant explicitement les Grands Anciens et Abdul-Al-Azred, auteur du terrible (mais fictif) Necronomicon. Passons sur le fait que l'adjectif "Lovecratien" commence vraiment à me sortir par les yeux, car il est utilisé à toutes les sauces par des personnes qui semblent n'avoir qu'une compréhension superficielle des écrits de cet auteur (non Lovecraft ce n'est pas qu'une affaire de bestioles cosmiques et de cultes païens), et attardons-nous plutôt sur la manière dont Mathieu Turi filme et nous présente son monstre.
J'ai entendu jusqu'à présent beaucoup de plaintes concernant l'apparence de cette créature, mais personnellement je la trouve assez réussie dans l'ensemble : à mi-chemin entre un extra-terrestre et une sorte d'idole ressemblant au dieu hindou Shi'vah. L'ennui, c'est que là où ses premières apparitions sont vraiment réussies, car le cinéaste suggère adroitement son apparence par le biais de ses longues griffes, il ne résiste par la suite plus à l'envie de nous le montrer plein cadre, de sorte que sa texture caoutchouteuse et factice n'en ressorte qu'encore plus. J'ai conscience que le film n'a pas été fait avec un budget très conséquent, et je reste ravi qu'un tel travail plastique ait été effectué sur la créature. Néanmoins, je ne peux que regretter ce choix de nous la montrer autant, car ceci annihile tout stress, toute peur ou angoisse, car non seulement le spectateur sait à quoi ressemble la bête, mais en plus celle-ci ne semble être qu'un e grande figurine agitée par l'équipe du film.
Un plan, ceci-dit, a réussi à m'impressionner : lorsqu'Amir entre enfin (par une astuce scénaristique grossière) dans l'antre de la créature, celle-ci se tient assise telle un roi dans son domaine, tenant dans l'une de ses mains la tête arrachée d'un mineur tué plus tôt. La scène a beaucoup de cachet, et même si Turi filme la bête beaucoup trop longtemps, j'ai tout de même été soufflé.
La fin du film, en plus d'être complètement bâclée, m'a davantage fait l'effet d'un grand doigt d'honneur lancé à Lovecraft, justement, qu'un hommage lui étant adressé.
En plus de ne pas assister à un véritable épilogue pour les personnages que j'ai suivi jusqu'alors, dois-je accepter l'idée qu'un être cosmique, prénommé "Le dévoreur d'âme", se fasse anéantir par deux bâtons de dynamite et un piège dans lequel même le requin des Dents de la Mer ne se serait pas jeté ? Dois-je également accepter l'idée que Rolland et Amir ont vu de leurs propres yeux une entité inconnue à la nature et à l'espèce humaine, et que ceci ne produise chez-eux aucun traumatisme, aucun signe de folie, comme c'est le cas dans TOUS les écrits de Lovecraft, justement ?
Je ne m'attarderai pas davantage sur les nombreuses incohérences qui jonchent le scénario, mon but ici n'était pas de démolir le film, mais de mieux vous expliquer mon immense déception.
Je suivrai avec assiduité les prochains films de Mathieu Turi, et j'encourage grandement les spectateurs à découvrir Gueules Noires et à soutenir ce type de cinéma en France.
Seulement deux choses : le cinéma de genre n'exempt pas un film d'être mal dirigé et truffé de facilités d'écritures, et s'il vous plaît, par pitié, JE VOUS EN CONJURE : arrêtez de citer Lovecraft si ça relève d'un pur prétexte pour donner une origine à une grosse bestiole en caoutchouc.