L’histoire du poète qui voulait « mettre du songe en conserve »

Journal du film qui débute la veille du premier jour de tournage, après un an de préparatifs, et qui termine juste après la première projection, tenu par Cocteau. L’on retrouve sa manière d’écrire, de raconter les choses, même lorsqu’il aborde des sujets très terre à terre. La lecture est donc agréable, rapide.

Le journal est un conte en lui-même tant le tournage est rempli de péripéties en tous genre : entre les blessures des unes, les furoncles des autres et les diverses maladies et allergies de Cocteau qui l’obligeront même à interrompre le tournage quelques temps, l’on pourrait s’interroger sur l’aboutissement du projet si l’on n’avait pas pour témoin son résultat.

Chronique d’un tournage qui nous laisse penser que le cinéma n’a pas tant changé que ça. Déjà en 1945, le réalisateur est dépendant de ses acteurs, de la météo, des maquilleurs, costumiers, techniciens… Sans compter les producteurs et les assureurs qui souhaitent voir un retour sur investissement. Les heures de maquillage des Hobbits de Jackson n’ont rien à envier à celles subies par Jean Marais pour incarner la Bête. Bien sûr les trucages ont évolué et le numérique remplace à présent les bouts de ficelles utilisés à l’époque. Bien sûr on ne monte plus un film en coupant des morceaux de pellicule. Le numérique apporte le droit à l’erreur mais le droit à la magie est déjà là. Car lorsque l’on regarde La Belle et la Bête, la magie opère malgré le peu de moyens techniques.

C’est aussi le portrait d’une société qui se remet à peine de l’occupation et de la guerre, d’un monde qui a besoin de croire au changement, d’un monde qui a besoin de rêve. Les coupures d’électricité et la difficulté de se procurer quelques draps supplémentaires pour les besoins d’une scène rappellent les privations récentes.

Et le poète, dans tout cela ? Le poète souffre autant que son œuvre. Comme si la magie ne pouvait naître qu’après la douleur. Et pourtant il ira jusqu’au bout, réalisera son film, son rêve alors que ce n’est pas son métier. Il en est conscient, il sait qu’il ne fait pas les choses parfaitement. Mais la perfection pour Cocteau, c’est autre chose. La perfection, ce n’est pas un raccord parfait, c’est lorsque l’on y croit, lorsque la magie opère, lorsque le poète emporte le spectateur dans son univers.
« Trop de soin, aucune porte ouverte au hasard, effarouchent la poésie, déjà si difficile à prendre au piège. On l’apprivoise avec un peu d’imprévu. Des arbres où il n’y aura pas d’arbres, un objet qui change de place, un chapeau enlevé qui se retrouve sur la tête, bref une crevasse dans le mur et la poésie pénètre. Ceux qui s’aperçoivent de ces fautes d’orthographe sont ceux qui lisent mal et ne sont pas fascinés par l’histoire. Aucune importance »

Avec moi, ça marche. Je ne fais pas attention à ces détails. Comme une enfant, je suis emportée par la magie, par l’histoire et l’univers et je ne remarque même pas les différences de lumière ou les objets fantômes. Ca fait du bien de voir un film, de lire un livre qui nous donnent envie de savoir encore aborder le monde avec un peu de cette naïveté que nous perdons en grandissant.
Nomenale
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le 3 janv. 2015

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