La bête contre les murs par NicoBax
Edward Bunker a passé près de 20 ans en prison dont les 3/4 en quartier de haute sécurité. Jugé comme un adulte à 15 ans, il aura le temps de faire connaissance avec le système judiciaire et pénitentiaire américain et sera finalement sauvé par l'écriture.
Dommage que le titre français ne rende pas hommage au sens du titre original, cette fabrique à animaux qui détruit plus qu'elle ne punit... "La bête contre les murs" pourrait laisser penser que la prison contient les potentiels déferlements de rage d'une frange de la société en rupture avec la masse. C'est tout l'inverse que cherche à démontrer Edward Bunker.
Quand Ron Decker arrive à San Quentin, il n'est qu'un jeune bourgeois arrêté pour trafic de stupéfiants. Pas à sa place, particulièrement handicapé par un physique adolescent, il devient une proie appétissante pour les animaux enfermés ici. Non affranchi des règles de la prison, il risque au mieux la mort, au pire de finir de tapin pour un gang avant d'être revendu à un autre.
Earl Copen quant à lui est un vieux de la vieille, magouilleur efficace et respecté, il a ses entrées aussi bien chez les pires chefs de gangs que dans l'administration sans que personne ne le soupçonne de balancer. Associé à la Fraternité Aryenne et à la Mafia Mexicaine, il a la force de frappe qui permet d'éviter les ennuis mais - malgré un tempérament bien trempé - préférera toujours naviguer sous le radar. A l'arrivée de Ron, il décide de venir en aide à ce prisonnier atypique qui partage avec lui une certaine culture et des valeurs communes.
Bunker offre parmi les plus beaux textes sur la vie carcérale qu'il m'ait été donné de lire dans la littérature américaine. Réaliste et politiquement incorrect, il n'hésite pas à en dévoiler les travers, sans fioriture : violence, paranoïa, jeux de pouvoir, manipulation, drogue, sexe, racisme. Il utilise le virginal Ron pour faire la démonstration de la violence du système : le jeune garçon éduqué que toute violence répugne deviendra au fil des mois de plus en plus déshumanisé, intégrant peu à peu les subtilités (ou pas) des rapports de forces entre communautés. La prison le changera profondément, dans sa façon d'appréhender l'homme, la société et leurs relations.
Il démontre l'absurdité d'un système qui préfère garder un potentiel fauteur de troubles au frais pendant une période déterminée, quitte à ce qu'il en sorte pire que jamais, plutôt que d'essayer d'offrir un échappatoire à un sujet pourtant brillant. Quelles options reste-t-il à celui qui est passé par les geôles de San Quentin ? Un retour au désormais bercail ou la mort au sein de celui-ci. Parce qu'une fois trop de temps passé dans cette micro-société aux règles propres totalement déconnectées du monde extérieur, il est trop tard. Restent le fatalisme et les copains...
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