Edward Bunker (décédé en 2005) a passé dix-huit années de sa vie en prison, et pas dans des établissements des plus faciles. Enfance difficile, adolescence rebelle qui le conduit directement en prison, sans passer par la case départ, mais plutôt par la case maison de correction, et sans toucher 20 000 francs, Bunker connaître le crime et la justice le lui rend bien en ne lui faisant aucun cadeau. C'est notamment à San Quentin (prison réputée la plus difficile des USA), dont il fut le plus jeune prisonnier, que Bunker découvre la littérature, il dévore tout d'abord tout ce qui se présente à lui, puis devient de plus en plus sélectif pour s'intéresser aux plus grandes oeuvres de la littérature américaine et étrangère. Mais c'est à travers l'écriture qu'il connaît véritablement la rédemption, il rédige lors de ce premier séjour à San Quentin ses premières nouvelles sans trouver d'éditeur. Sorti de prison, il viole sa conditionnelle pour plusieurs délits (extorsion de fonds, faux chèques, cambriolages, ....) et se retrouve à nouveau derrière les barreaux, cette fois-ci pour 14 ans. Il continue d'écrire, toujours des nouvelles, mais également quatre romans. Bunker vend son sang pour récupérer un peu d'argent et envoyer ses manuscrits à différents éditeurs, en vain. A 34 ans il sort de prison, et replonge quelques mois plus tard, faute de perspectives de réinsertion. Cette fois-ci, c'est dans la prison de Marrion (Illinois) qu'il atterrit, autre lieu de perdition célèbre pour sa violence quotidienne. C'est là qu'il rédige le premier roman à trouver un éditeur en 1973 (Aucune bête aussi féroce), ainsi que des articles sur les conditions carcérales dans les prisons américaines. Libéré en 1975, sa notoriété commence à augmenter, notamment grâce à l'adaptation cinématographique de son premier roman. Bunker publie trois autres romans, avant ensuite de se tourner vers Hollywood. Il écrit quelques scénarios puis obtient des petits rôles (notamment Mister Blue dans "Reservoir Dog"). Le succès de ses oeuvres en Europe, puis l'adaptation cinématographique d'un autre de ses romans, La bête contre les murs (sous le titre Animal Factory), relança sa carrière au cours de ces dernières années.

La bête contre les murs n'est pas une autobiographie, mais le roman comporte une grande part de vécu. On sent que tout y est authentique, la violence, certes, mais aussi l'humanité/inhumanité de ces hommes que l'on enferme parfois à vie et pour lesquels il n'existe à peu près aucune perspective de réinsertion. Lorsqu'un homme entre à San Quentin, il est marqué à vie et il ne peut en ressortir qu'une bête. L'histoire de ce roman a le mérite d'être simple : Ron Decker, 25 ans, est incarcéré à San Quentin pour trafic de drogue. Dans la cour de la prison, le jeune homme se fait rapidement remarquer pour son physique plutôt avenant et sa jeunesse, qui en font un cible de premier choix pour des prisonniers en quête de chair fraîche. L'avenir de Ron apparaît plutôt obscur, jusqu'au jour où Earl, vieux taulard influent en membre de la fraternité blanche, se prend d'amitié pour lui et décide de le prendre sous son aile. Le roman est étonnant à plus d'un titre car il dresse à la fois un portrait sans concession du milieu carcéral américain (administration verreuse, réinsertion inexistante, violence extrême des prisons américaines, corruption des gardiens, trafics en tous genres, racisme et guerres interraciales....) tout en racontant l'histoire d'une amitié forte entre deux hommes, qui révèlent progressivement la complexité de leur personnalité, leur intelligence et leur sensibilité, mais également toute la fureur de leur violence. Aucun manichéisme, aucun faux-semblants, tout est brut, tout est vrai dans cette description d'un monde à la fois effrayant et fascinant. La prison est une micro-société qui a ses règles, ses tabous, ses légendes, la justice et le droit n'y ont pas cours. C'est une jungle dans laquelle il faut se montrer le plus fort, où être isolé est signe de mort, et pourtant il est parfois possible d'y trouver une parcelle d'humanité.


Bref, un roman pas forcément à conseiller aux âmes sensibles, mais d'une force et d'un souffle incroyables.
EmmanuelLorenzi
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le 3 nov. 2013

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