Dans ce monde de folie, vous craignez de perdre votre bon sens ? vous commencez à céder aux sirènes d’illuminés qui vous disent que les français, ça n’existe pas, que la France est une construction intellectuelle ? vous constatez que le multiculturalisme fait perdre tout sens commun ? vous êtes ébahi devant les revendications des minorités qui vous affirment que vos ancêtres – et certainement vous-même aussi- étaient d’affreux petits blancs hétéronormés asservissant dans un même mouvement les femmes, les noirs, les faibles etc ?
Lisez La Billebaude et vous comprendrez qu’être paysan au début du 20 ème siècle, plus exactement, être bourguignon, c’était une belle condition, enviable, sans eau courante, sans électricité, sans voiture, sans machines qualifiées de « modernes » pour cultiver la terre; c’est même cette « modernité » qui a fait passer le bonheur après la productivité et l’être après l’avoir.
Être paysan, c’était savoir vivre, en contact avec une nature souvent rude, c’était connaître le sens du devoir et des responsabilités, même si on n’était allé que très peu à l’école (car le primaire d’antan, équivalait au niveau actuel du bac), c’était aimer sa vie et son pays aussi.
Être paysan, surtout bourguignon dirait l'auteur, c’était penser librement, c’était être capable d’acheter et de lire religieusement tous les tomes de l’Histoire de France de Michelet même si on n’était qu’un pauvre petit artisan, c’était transmettre l’amour de la langue française et du patois en racontant à son petit fils des aventures de chasse ( la seule acceptable : celle qu’on pratique pour se nourrir), c’était avoir conscience de sa propre noblesse face au châtelain du coin.
Vincenot voit juste, comprend avec une grande acuité ce monde moderne qui regarde avec des prismes faussés la France profonde des campagnes françaises : « C’est probablement cette attitude de nos femmes ( elles parlaient peu et ne mangeaient pas avec les hommes) qui ont fait croire aux pignoufs modernes qu’elles étaient tenues en servage, et c’est ce qui fait dire tant de sottises aujourd’hui sur la condition féminine dans l’ancienne civilisation. Mais tous ces jocrisses-là n’ont jamais vu vivre un vieux ménage de ce temps, sans doute, et si l’ont doit plaindre des femmes, ce sont les leurs, pauvres esclaves de l’usine ou du bureau ! » ( Denoël p. 77) Chez ses grands-parents où vivaient parfois trois générations, c’étaient les femmes qui avaient toujours le dernier mot, malgré leur apparente docilité devant les gesticulations et le verbe haut des hommes, c’était elles qui avaient la mainmise sur la vie. Elles connaissaient aussi tous les remèdes naturels et, avec l’aide de divers spiritueux faits maison ou de « vin de trois » abusivement orthographié « vin de Troyes » ( un qui boit, deux autres pour tenir le buveur…), ou plutôt malgré eux, c’étaient les femmes qui maintenaient en bonne santé les anciens, au-delà de 90 ans ( Vincenot évoque bien un grand-père mort jeune, vers 70 ans, mais c’est parce qu’ il avait voulu quitter la campagne pour travailler sur une locomotive au charbon nocif …)
Et Vincenot se moque avec un humour toujours juste de l’image de la campagne véhiculée en particulier par des écrivains comme Zola : « Peut-être comptiez-vous que, pour que mon témoignage soit pris au sérieux, j’allais moi aussi vous montrer les croquants de ma jeunesse ployant sous le faix de la ramée, en serrant les poings et reniflant tristement leur morve au fond de leur cheminée enfumée ? Eh bien, camarades, vous en serez frustrés, je ne le vous montrerai pas car je ne l’ai pas vu moi-même. Aucun de mes ancêtres, et Dieu sait si j’en avais autour de moi vous le savez, ne m’a jamais parlé de cela. Certes, tous ces gens grattaient la terre, le bois, le fer avec des outils qui semblent bien lourds et bien rudes aux mains des informaticiens et des psychosociologues d’aujourd’hui. » ( p.198)
Après des études d’ingénieur, métier honni qu’il exercera plusieurs années pour contenter à la fois les femmes de la famille, le curé et l’instituteur, l’auteur retrouvera ses racines en achetant une petite maison dans un hameau en ruines découvert lors de ses promenades de jeunesse et où il écrira son œuvre, témoignage d’une France disparue.
Lisez La Billebaude, et, porté par une langue savoureuse, vous comprendrez combien l’homme est noble dans le travail manuel, combien il était heureux avant que le technocrate ne remplace l’humaniste , combien la France était plus belle !