Curieux ouvrage que ce roman, qui fait référence de manière très précise au Chicago des années 1880 et plus particulièrement à l'attentat de Haymarket, au cours duquel une bombe fut lancée sur la police, légitimant un coup de filet sur l'ensemble des militants ouvriéristes de l'époque.


L'ouvrage fait référence à des vrais individus ayant existé : Rudolph Schnaubelt et Louis Lingg. Il développe la thèse que Schnaubelt serait celui qui a lancé la bombe, Lingg étant son mentor, et celui qui organise sa fuite jusqu'en Angleterre.


Mais davantage que l'assertion de cette thèse (l'auteur de l'attentat n'ayant jamais été démasqué), le principal sujet est la reconstitution du contexte de l'époque, à travers la vision de Schnaubelt, un jeune Bavarois qui, imbu de ses bons résultats scolaires, décide d'aller tenter sa chance aux Etats-Unis et découvre brutalement la difficile survie dans laquelle les ouvriers sont plongés. Terrassier, ouvrier dans les caissons de décompression, puis pigiste dans les journaux pour immigrés allemands, Schnaubelt quitte New York pour Chicago. Peu à peu, il passe certains articles dans les journaux américains (même s'ils sont largement caviardés par les rédactions hostiles aux migrants de l'époque). Surtout, il participe à des réunions socialistes. Pourchassés par la police, ses cadres militant pour la journée de huit heures et pour améliorer les conditions de sécurité dramatiques dans lesquelles travaillent les immigrés.

Et puis il y a l'engrenage avec Lingg : cette fois où les deux hommes et la compagne de Lingg partent sur le lac et testent une bombe ; les nouvelles de tabassages par des policiers, avec une impunité de plus en plus grande ; enfin la semaine qui mène à l'événement. Les derniers chapitres évoquent la cavale de Schnaubelt et ce qu'il apprend du procès de ses anciens camarades par les journaux anglais. La fin de Lingg, qui parvient à faire entrer une bombe en prison pour se faire exploser (à moitié), est particulièrement frappante.


On est donc dans du roman réaliste présenté comme une confession à la première personne. La partie la plus intéressante est au début, avec la formation de la conscience politique du jeune immigré, et cette ambiance de galère où un ami vous offre un repas car vous n'avez plus un sou. La bluette de Schnaublet avec Elsie, une secrétaire bas-bleu assez conservatrice, n'a pas un grand intérêt. Quant à la fascination qu'exerce Lingg, je trouve qu'elle aurait pu être amenée plus subtilement, plus profondément, elle a quelque chose d'abstrait.


Il n'empêche, dans les ouvrages ouvriéristes américains du début du XXe siècle, La bombe peut être une bonne porte d'entrée : c'est moins exigeant que Dos Passos mais ça se lit bien et c'est poignant. On reste tout de même en-deçà de Steinbeck ou Benjamin Traven.

zardoz6704
7
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le 17 juin 2024

Modifiée

le 12 juil. 2024

Critique lue 7 fois

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