Il n'était, finalement, pas surprenant que l'écrivain obtienne son Prix. Dès le début de sa carrière, il avait formaté sa pensée et son écriture dans un seul but : celui d'obtenir cette récompense qui, nonobstant sa misérable valeur pécuniaire, marquait la reconnaissance de ses pairs envers son travail., Et, par-dessus tout, Maman allait être fière de lui.
Il est difficile de parler d'œuvre, lorsque l'on regarde, en panoramique, l'ensemble de la production de cet auteur : il s'agit d'un travail, accompli de manière besogneuse, avec la passion et l'acharnement de la fourmi rouge dépiautant une carcasse de rat crevé. Son début de carrière était pourtant séduisant, attirant le public aujourd'hui appelé geek avec son essai sur Lovecraft-écrivain dont il aime surement à se comparer par sa misanthropie, son apparence souffreteuse et sa dévotion religieuse, un peu bucheronne mais sincère, en l'écriture de sa langue-, ouvrage finalement aussi passionnant qu'une thèse de rattrapage mais qui lui ouvrit les portes des cercles littéraires parisiens.
Pour cet enfant de province, Paris était un triptyque haine/amour/fascination qu'il s'efforçait d'aplatir à travers des récits catharsiques, bien qu'il niât farouchement toute similarité entre ses livres et sa propre personne. Révolté mais astucieux, il parvint a refourguer habilement deux fois le même livre (extension et particules, même combat) sans que la critique ne s'en aperçoive, les journalistes littéraires préférant se consacrer aux pathétiques frasques people de l'écrivain, se concentrant sur le pisseux de sa veste griffée La Redoute plutôt que sur l'insipidité de ses récits.
L'écrivain le savait, l'écrivain en jouait, essayant de se la jouer Gainsbourg post moderne, la gueule moins ravagée, la boisson plus maitrisée, le je-t'enculisme plus sophistiqué en unisson avec son époque. Un livre correct, parlant de science-fiction et de clonage, sera sans doute son dernier coup de rein dans la croupe fatiguée de son imaginaire. L'écrivain misait beaucoup sur ce roman, il n'en retirera rien, hormis une étiquette de Poulidor du Goncourt qui le fera s'enfermer dans une bouderie enfantine pendant quelques années.
En ressortira La Carte et le Territoire, troisième itération édulcorée de ses thèmes fétiches, abordés déjà deux fois dans les Particules et l'Extension. Sournoisement apaisée, donc forcément moins drôle et certainement pas caustique, cette petite production de 400 et quelques pages se laisse feuilleter sans passion, enfonçant mollement des portes que l'auteur avait pourtant si soigneusement chignolées dans son précédent roman. Le Rocco Sifredi de la plume moderne française n'est plus, l'attrait de la récompense suprême l'ayant converti en une sorte de Steevy Boulay littéraire, à peine bon à partager sa couche avec sa copine butch and destroy V.Despentes.
A nous faire regretter le départ de Dantec.