Après la relative déception qu'avait constitué "la possibilité d'une île", retrouver un grand, un très grand Houellebecq dans "la carte et le territoire" est une immense joie : les 400 pages se dévorent d'un trait, comme on le ferait d'un banal thriller à l'américaine, sauf qu'ici, c'est le plaisir extrême d'une écriture à la fluidité sublime et d'un récit à l'intelligence stupéfiante qui guide nos pas et accélère les battements de notre cœur. De quoi parle "la carte et le territoire" ? Pas facile à dire, en fait... De tout et de rien, de nos destins individuels de fils qui ont perdu leur père, d'amants qui ont loupé l'être aimé sans en faire pour autant un drame, d'êtres humains démunis face à la mort... Mais aussi de la transition du capitalisme vers... autre chose, et de l'impact de cette évolution sur la société française. Du statut de l'objet dans la culture du XXIe siècle. De la manière dont l'Art s'invente, avant de se vendre. De la vanité de la littérature - une vanité que ce livre contredit brillamment. Etc. etc. En fait, avec ses reprises textuelles de Wikipedia, son break étonnant en forme de polar avec serial killer, l'inclusion hilarante de personnages réels, la mise en scène cruelle par Houellebecq de sa propre vie (?) et de sa future mort, "la carte et le territoire" est une jungle foisonnante de fictions au plus près de notre réalité, un labyrinthe mental dans lequel on se perd avec délices, jusqu'à l'engloutissement final. Un livre facile à lire, certes, comme si c'était là un défaut : une œuvre littéraire d'autant plus importante qu'elle paraît modeste. [critique écrite en 2012]