Longtemps, j'ai différé la lecture de cet auteur, de ce phénomène de foire, devrais-je dire. Je suis plutôt méfiant à l'égard des faux-trublions. Ce personnage public, dont le côté dérangeant est si bien formaté, répond-il pile-poil aux attentes d'un public conformiste en mal de sensations, de petites peurs, de petits franchissements de ligne blanche ? Je voyais en Houellebecq un pendant moins abouti de Gainsbarre, un potentiel fils spirituel de Desproges. Grosse déception. Je voyais en Houellebecq un bon imitateur de Malraux clope au bec. Le singe a dépassé son modèle ; mais pas en littérature. Troublé par cette notoriété quand même envahissante, bulldozerisante oserais-je dire ; troublé par un tel battage finissant en Goncourt (comme Malraux, tiens... est-ce vraiment le même prix ?). La non-surprise a fini par me rattraper : j'ai ouvert La Carte et le Territoire, dont un ami raisonnable m'a dit qu'elle pourrait être pour moi la possibilité d'une moindre déception.
J'imaginais que l'auteur me prendrait par la main, qu'il me ferait vivre des choses grisantes et inavouables. Je ne me suis qu'à moitié trompé. En effet, Houellebecq ne lâche pas son lecteur, rendons-lui cette qualité. Mais il l'emmène vivre des choses peu grisantes. Grises, assurément, pas inavouables, fades. J'ai compris pourquoi je déprimais rien qu'à voir sa bobine : ce triste garçon est l'incarnation même de la déprime. J'ai ainsi compris ma méfiance. Une fois ingurgitée la première partie de ce roman, j'ai compris que sa cantine ne serait pas mon quartier général, ses arrière-goûts de vomi-lendemain-de-cuite m'indisposant. J'imaginais que les passages où Houellebecq m'offre un sourire indulgent allaient se prolonger jusqu'au franc délire, allaient exploser en une autodérision plus débridée, jouissive, à des éclairs d'esprit sans limite. Las, le soufflé tombe, chaque fois. J'attendrais donc avant de renouveler l'expérience.
Je me faisais le devoir de lire celui qui fait tant jaser, histoire de ne pas mourir idiot. Pour quoi ? Il y a des auteurs bien meilleurs que je ne lirai sans doute jamais. Serai-je considéré comme crétin ou imbécile pour autant ? Au moins, j'aurai un point de vue légitime sur ce monstre sacré et pourrai-je débattre avec mes contemporains en connaissance de cause.
Avec lui, je suis multiplement perplexe sur notre époque, et me demande ce que j'y fais. Ces phénomènes de masse me troublent, à rebrousse-poil. Qu'on goncourtise un auteur qui s'octroie dans son roman ce rôle sur mesure, ce rôle barré, qui aurait pu être franchement poilant mais qui ne m'a pas fait rire, qui utilise des ficelles bien grosses, histoire que l'on ne prenne pas ce texte pour un essai philosophique tout en nous offrant une diarrhée de lieux communs, ne laisse pas de me rendre mal à l'aise, mal dans mon siècle. Était-je bien dans le précédent ? Qu'aurais-je fait au XIXe ? Y a-t-il un siècle des cons ? Faut-il écrire un peu gras pour être publié ? Faut-il abonder dans le sens des industriels du divertissement ? Combien de cuillérées (de louches) de langage parlé dans la narration, d'anglicismes, de références aux objets du quotidiens, avec leurs digressions de type mode d'emploi, faut-il pour faire un texte "bankable" ? Suffit-il d'employer un passé simple de convenance, saupoudré de quelques subjonctifs, pour être un écrivain du XXIe siècle ? Eh oui, les maisons qui vivent de cette nouvelle industrie capitalisent sur ces machines de guerre peu ragoûtantes mais tellement juteuses, sur ces têtes à fric tellement plus sûres en termes de rentrées financières. L'exigence littéraire ? Vous déconnez, mon cher !
Bref, Michel Houellebecq n'est pas à mes yeux un grand auteur. Tout au plus un écrivain capable. Capable de bien mieux. Capable de bien meilleur. Mais ce n'est pas ce qu'attendent ceux qui misent sur lui. En l'état, c'est un écrivain moyen à qui sa notoriété fait le plus grand tort au plan littéraire. C'est un assembleur d'ingrédients, un triste manipulateur.
J'ai poussé la curiosité jusqu'à lire sa poésie, intrigué par sa facture classique. J'avoue aimer le sonnet, l'alexandrin, parfois. J'aime les vers qui parlent aux tripes, pas ceux qui étalent des tripes (des trips ?). Ceux de Houellebecq parlent à l'œsophage, parfois s'aventurent jusqu'aux portes de l'estomac, avant de refluer. J'aime les vers qui offrent une musique imparable. La forme de ceux de Houellebecq achoppe, c'est mécanique, l'alexandrin à treize ou quatorze pieds passe mal. Une question d'e muets qui donnent le hoquet, rendent ses idées indigestes. La licence poétique ? Une licence IV, plutôt. Une poésie soi-disant héritière des grands maîtres, dont l'élève bâcle la composition par paresse, par manque d'exigence. Une poésie inaboutie. Comme ses romans.