La chambre de Giovanni, le chefs-d'oeuvre de James Baldwin, entre élégance, pudeur et profondeur

Le deuxième grand roman de Baldwin qui réservait à sa fiction le traitement des questions sexuelles, ayant dès son premier ouvrage la Conversion illustré avec brio la tension existant entre désir charnel et matrice religieuse afro-américaine,est peut être son meilleur, en tout cas son plus émouvant.
Ni plaidoyer communautariste, encore moins revendication autocentrée, le roman de Baldwin qui se déroule essentiellement dans l'esprit de David, un américain expatrié à Paris en pleine période de la guerre d'Algérie - est une mélopée délicate qui illustre la difficulté de "choisir" entre deux tentations opposées, cette fameuse double contrainte théorisée par la psychanalyse, l'amour pour Hella, symbole d'une certaine quiétude conjugale et celui pour Giovanni, correspondant aux aspirations véritables du jeune homme serveur d'origine italienne, travaillant dans un bar de Saint germain des Prés.


Le récit, essentiellement basé sur la technique du flux de conscience, est admirablement structuré, l’auteur a souvent recours à l'anamnèse et au flash back, prouvant ainsi que les leçons de James Joyce, de Joseph Conrad et de Virginia Woolf ont été admirablement digérées.
Grace à ces tactiques narratives particulièrement maitrisées, le passé de chaque personnage se révèle progressivement, les retours en arrière, nombreux, permettant de reconstruire le passé des protagonistes et de déduire les ressorts psychologiques de leurs actions futurs,à cet égard le moment ou le fils (David) surprend son père clamant qu'il veut faire de lui "un homme un vrai" et le fait que ce dernier ne puisse à'linjonction patriarcale répondre que par un accident de voiture aux allures de suicide est une scène éclairante qui mets en perspective l'impossibilité de répondre aux "attendus" familiaux.


Aucune longueur, aucun temps mort, aucune fausse impudeur dans ce récit atmosphérique aux dialogues profonds et gorgés d'ironie qui réussit le pari de mettre en exergue le conflit Jamesien entre la Jeune Amérique et le vieux continent tout en constituant un document précieux sur ce qu’était le "Milieu" homosexuel Parisien dans les années 50.


D'autres thématiques typiquement Baldwiniennes sont traités avec méthode et raffinement : la mélancolie de l'expatrié, la crainte de la chute consécutive au pêché et celle de la déchéance qui suit toujours le sentiment de la trahison.
De ce sentiment d'inconfort initial, issu d'un désir inassouvi de vivre hors des contraintes sociétales découle la recherche effrénée (et vouée semble t-il à l'échec) d'un territoire perdu qui permettrait de lutter contre "la mort sans cesse répétée de "l’innocence», là ou il serait enfin acté que la définition de soi ne peut se faire que dans le regard de l'autre, qu'il soit homme ou femme d'ailleurs.
Baldwin parvient ainsi en montrant les déchirements dont son personnage est l'objet que le fantasme de la masculinité est une des composantes essentielles de la société américaine, particulièrement hétéro centrée, justifiant violence et asservissement des minorités mises à l'épreuve de la bien pensance,du dogme et de la doxa,toujours prompt à juger ce qu'elle ne comprends pas.
Délicat et brutal, souple et plein de tension, le récit est sauvé d’un certain pessimisme grace aux séquences plus triviales savamment ménagées entre chaque confessions, tels que le passage de la logeuse faisant l’état des lieux de l’appartement que David va quitter ou la traversée des Halles au petit jour par la bande de noctambules parisiens en plein amour naissant. Ces passages pleins d’émotion, flirtant quelquefois avec le cocasse permettent de ménager des pauses salutaires dans un récit qui fait la part belle à l'introspection et à l'auto-analyse,rappelant en cela les nouvelles intriguantes du grand Dostoievsky en lequel Baldwin reconnaissait une influence majeur.


Rédigé au début des années 50 en plein Maccarthysme, et faisant écho aux "révélations" choc du rapport Kinsey sur la vie sexuelle des américains, ce chefs-d’œuvre,initialement refusé par son premier éditeur, fut après un excellent accueil critique lors de sa sortie injustement oublié, les essais de l’auteur ayant mis au second plan son œuvre romanesque. Souhaitons que cette belle traduction répare cette injustice.

ModesteBaron
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le 23 oct. 2018

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Modeste Baron

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