La chambre de Giovanni de James Baldwin est considéré pour beaucoup, comme un classique de la littérature homosexuelle. Resté longtemps introuvable, ce roman de 1956, a de nouveau été publié aux éditions Rivages en 1997 avec une nouvelle traduction.
Quant les émotions vous submergent, difficile d'expliquer pourquoi on a tant aimé un roman. Le texte de James Baldwin est d'une beauté étourdissante, et d'une grande justesse.
L'histoire se passe dans le Paris des années 50. Fuyant son pays et son père, un jeune américain, David, dans sa vingtaine, débarque à la capitale à la cherche de lui-même. Alors que sa petite amie est partie en Espagne pour prendre le temps de réfléchir à sa proposition de mariage, David va faire la rencontre du beau Giovanni, un italien sans un sous, qui travaille derrière le comptoir d'un bar dans un quartier homosexuel de Paris.
- Vous venez souvient ici ? demanda Giovanni soudain, après un moment de silence.
- Non, pas très.
- Mais vous viendrez plus souvent maintenant, dit-il le visage illuminé d'un air de moquerie irrésistible.
- Pourquoi ? bredouillai-je.
- Ah ! s'écria-t-il, est-ce que vous ne vous rendez pas compte quand vous vous faites un ami ?
Je ne savais que je devais avoir l'air idiot et que ma question était idiote aussi. Si vite ?
Pourquoi pas ? Il dit cela comme une évidence, puis ajouta, jetant un coup d’œil à sa monte : on peut attendre une heure si vous préférez. On pourrait devenir amis dans une heure. Ou attendre jusqu’à la fermeture. On pourrait devenir amis à ce moment-là. (...) Les gens disent toujours ça, il faut attendre, il faut attendre. Qu'est-ce qu'ils attendent ?
La rencontre entre les deux hommes est à la fois assez commune et simple mais aussi très belle. Les sentiments contradictoires qu'éprouve David (entre attirance et peur) sont décrits avec subtilité.
Le soir même Giovanni emmène David dans sa chambre de bonne qui deviendra leur petit nid. Un endroit pourtant sale, répugnant et étroit mais peu importe...
Je me souviens que, dans cette chambre, j'avais l'impression de vivre sous la mer ; le temps passait au-dessus de nous, indifférent, les heures et les jours ne voulaient rien dire. Au commencement, notre vie à deux était faite d'une joie. Sous-jacente à la joie, bien sûr, était l'angoisse, et sous l'étonnement la peur ; mais elle ne nous tourmentèrent pas dès le commencement, pas avant que nos glorieux débuts aient pris un goût de fiel. Alors l'angoisse et la peur devinrent la surface sur laquelle nous glissions et dérapions, perdant avec notre équilibre toute dignité et toute fierté.
Mais David n'arrive pas à assumer cette relation, luttant contre ses sentiments jugés contre nature par la société de l'époque. Très vite David prévient Giovanni que lorsque sa fiancé rentrera en France, leur relation se terminera. Pourtant ces quelques mois de bonheur sont une véritable bulle de temps qui s'est arrêtée marquant à jamais les deux hommes.
Comme je le disais, la vie dans cette chambre semblait comme vécue sous l'eau, et il est certain que j'y subis une métamorphose d'une profondeur insondable.
Giovanni avait réveillé quelque chose qui me démangeait, il avait libéré quelque chose qui me rongeait. Je m'en redis compte un après-midi où je l'accompagnais au bar. Nous remontions le boulevard Montparnasse en marchant. Nous avions acheté un kilo de cerises, que nous mangions en marchant. Nous étions tous deux d'humeur excessivement puérile et espiègle cet après-midi-là, et adultes se bousculant sur le large trottoir et se crachant des noyaux de cerises au visage. Je me rendis compte que cette espièglerie était surprenante à mon âge, et que le bonheur dont il était issu l'était plus encore ; pour ce moment qu'il me faisait vivre, j'aimais réellement ce jour-là.
Jusqu'au jour où David reçoit une lettre de sa fiancée qui annonce son retour imminent. David comprendra à ses dépends, qu'aimer, c'est osez écouter les sentiments enfouis au plus profond de soi.
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