Conte-moi, ô Muse, la geste du violent Roland ! Chante-moi les exploits de celui par qui périrent bien des nobles aux portes de l'Empire !
Mais d'ailleurs, quelle muse à bien pu piquer le poète de Roland ? Une cousine ratée de celle de Quentin Tarantino ?
Le topo :
Les Francs, sous le commandement de ce bon vieux Charlemagne, ravagent l'Espagne musulmane depuis des années. Mais les Sarrasins, acculés, échafaudent une fourberie sans nom pour se débarrasser des envahisseurs : Simuler la reddition, donner des otages en gage de bonne fois et attaquer malgré tout l'armée franque par surprise alors qu'elle se retire d'Espagne. Un plan machiavélique ! Mais qui sème la guerre chez les Maures a de bonnes chances de récolter les Sarrasins de la colère (Oui, j'ai osé faire cette blague, et alors ?)
Pire encore, un traître chez les Francs, Ganelon, le beau père de Roland, a suggéré lui même le plan aux Sarrasins ! S'en suit une boucherie sans nom parsemée de diatribes sur le courage et la loyauté.
A priori rien de bien original, on a là une chanson de geste comme il en existe beaucoup. Mais La Chanson de Roland a la particularité de ne pas tant être une chanson sur la guerre qu'une chanson pour la guerre. Le sujet, un affrontement entre Chrétiens et Musulmans, permet à son auteur de prendre partie pour l'un des deux camps. Tous les Sarrasins, à quelques exceptions près, sont déshumanisés et traités comme une véritable chair à épée toute juste bonne à être trucidée. On voit même, de temps en temps, des démons s'incruster sur le champs de bataille pour prendre l'âme des Sarrasins s'effondrant au combat.
Et malgré ce parti pris il est quasiment impossible pour le lecteur d'éprouver de la sympathie pour les "bons" de cette histoire. Roland est une machine de guerre orgueilleuse ne pensant qu'a tuer, l'évêque Turpin est incapable de ressentir la moindre compassion et sort occasionnellement de grands traits spirituels tels que :
Ce Sarrasin me semble bien hérétique. Le mieux à faire est d'aller le tuer.
Ça vaudrait presque "VOUS ALLEZ VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES BORDEL DE MERDE ?!" Charlemagne, lui, est un tyran qui fera exécuter non seulement le traître Ganelon, mais également toute sa famille avec lui. Seul Olivier rehausse le lot, le seul du côté Franc qui appelle à la modération, encore que ce soit par pitié pour les siens et non pour l'ennemi.
Au contraire, les personnages les plus sympathiques sont les mauvais, Ganelon, qui ne trahit que pour sauver sa vie, et Marsile, le roi des Sarrasins qui ne cherche qu'à défendre ses terres. Et pourtant, page après page, le narrateur prend le parti des Francs et porte aux nues leur sauvagerie et leur inflexibilité. J'ai cru ressortir de la lecture avec des PTSD.
Alors oui, je recommande la lecture de la Chanson de Roland comme un objet historique mais ceux qui recherchent une œuvre littéraire peuvent passer leur chemin. La Chanson de Roland est une machine à galvaniser les troupes à peu près aussi subtile qu'un tract de propagande soviétique.
Assez ironiquement, Roland s'exclame lui même à propos de sa possible postérité littéraire :
Allez, que chacun s'applique à frapper de grands coups pour qu'on ne chante pas sur nous de mauvaise chanson !
Raté!