La Citadelle de Cronin est un ample roman écossais, en bonne part autobiographique, paru en 1937, qui montre au cours de ses six cent et quelques pages les splendeurs et les misères rencontrées par Andrew Manson, un jeune médecin empli d'un souffle réformiste, alors qu'il tente de s'attaquer à l'hydre du système médical britannique.
Ponctué d'ellipses faisant évoluer le personnage d'Andrew depuis son premier poste dans une vallée minière du pays de Galles jusqu'aux rues les plus prestigieuses de la bourgeoisie londonienne, le roman est construit sur un principe feuilletonesque particulièrement schématique qui rappelle sans peine l'écriture automatique servant à pondre l'essentiel des séries aujourd'hui. On confrontera donc tout le long du roman le personnage à une situation de crise face aux mandarins locaux de la médecine selon le même modèle : arrivée dans un lieu idyllique, espoir, confrontation à la médiocrité affairante du magnat en place, révolte et exil / expulsion ; chacun des ces lieux étant un peu plus proche à chaque fois des hautes instances du pouvoir politico-médical. Le roman appuie encore cette construction rebondissante en créant des scènes en miroir évidents (le personnage passera ainsi plusieurs fois devant des conseils qui, ayant toutes les raisons de le lourder, seront improbablement retournés par sa rhétorique coléreuse).
Si on ajoute à ce système narratif paresseux une écriture fréquemment plate et mièvre – une partie non négligeable du roman étant consacrée à traiter le « je t'aime moi non plus » d'un couple en crise –, on aboutit à un roman qui, tout en se lisant très vite par rapport à sa taille, ennuie souvent face à la grosseur de ses ficelles et au manque de capacité à esthétiser ses scènes-types. Je ne m'attendais pas forcément à aussi pompier que du Zola mais j'ai découvert dans cette Citadelle la scène d'amputation la plus fadasse du monde (même si on tente de nous vendre en deux lignes bâclées l'enfer du fond de la mine comme salle d'opération). Le roman n'hésite pas à verser carrément dans les codes du mélo' en tentant régulièrement de sortir des morts pathétiques pour relancer l'intrigue. Mais on reste bien sec face à ces tentatives visibles et maladroites.
C'est dommage, pourtant, car le fond du projet aurait pu paraître assez séduisant : il s'agissait initialement de procéder à un réquisitoire sévère contre un système médical basé sur l'exploitation de clientèle-cheptel par des médecins aussi incompétents qu'opportunistes, pris les uns et les autres dans une course libérale débridée, tout en esquissant un contre-modèle à favoriser, celui de la coopérative locale. Mais cette bonne orientation du roman – on retrouve presque 60 ans en avance une mise à mort efficace de certains escrocs du placébo et de l'homéopathie – est complètement noyée par le romanesque en sucre glace systématiquement mal dosé de l'auteur.
En cela, ce roman est assez fascinant à parcourir : il donne un bon exemple de ce que devient une idée pertinente et efficace entre les mains d'un homme dépourvu de tout talent ; et, par là, il nous rappelle que, même quand elle peut avoir des choses très éclairantes à nous transmettre, la littérature reste, avant tout, une pratique artistique.
Une lecture tout de même recommandable pour les fanas de séries télé à reconstitution, pour ceux qui apprécient la lecture détente, pour les personnes particulièrement friandes de fiction médicale, pour les britisholâtres ; amateurs de belles lettres, vous pouvez passer votre chemin.