Une dernière trilogie avant la retraite. L'annonce est un double-évènement, du genre doux-amer. Don Winslow ne l'aura pas volé, ce moment de repos. Son dernier roman fleuve - La Griffe du Chien / Cartel / La Frontière - est une mandale dont bien peu se sont remis (l'équivalent de Underworld USA chez Ellroy). Traffic, Sicario et la série Narcos ? De la gnognotte à côté. Notez que je les aime bien en plus, c'est vous dire. La carrière de Winslow ne s'en tient pas là. Un temps détective privé, l'homme a su mettre à profit cette longue expérience dans plusieurs nuances de polars. On part de l'enquête sous influence Raymond Chandler (Du feu sous la cendre, la série Neal Carey) jusqu'à la plongée en eaux troubles pour Corruption, en passant par l'espionnage avec Frank Decker ou le recueil de nouvelles protéiformes (Le prix de la vengeance). Pour clôturer une carrière aussi riche, l'écrivain a vu grand. Le titre sent la poudre, on y parle de mafia, de guerre de territoires, de trahison(s), d'Homère et de Virgile,...Nulle trace d'arrogance, l'ambition est de partir au sommet. Mission à moitié remplie serais-je tenté de dire, quand bien même deux volumes restent pour achever le cycle.
La verve n'a peut-être jamais été plus dépouillée. Également metteur en scène (parmi ses nombreux titres), Don Winslow est un auteur visuel. Les descriptions s'en tiendront à quelques lignes, jamais plus d'un paragraphe. Quand on a les bons mots, pas besoin d'en rajouter. Il faut reconnaître que le romancier les trouve plus souvent qu'à son tour. Nous avons d'un côté la mafia Irlandaise, de l'autre la pègre italienne, une paix durable malgré les relents racistes (hérités du passé migratoire), jusqu'à ce qu'une femme se retrouve entre les deux camps. Vous voyez la suite ? N'en soyez pas si sûrs. La Cité en flammes affiche ses influences (*L'Iliade*en tête, suivie de L'Énéide) comme un piège tendu à son lecteur. Ça n'a rien d'une posture hautaine pour rappeler qui mène la danse, plutôt un rappel que l'odyssée de Danny Ryan n'en est qu'au début. Comme toujours, Winslow ne temporise pas, il file à l'essentiel (du moins, le pense-t-on). Mais un évènement amène à d'autres, le choix des armes sera varié et les caractères dicteront les rebondissements. Beaucoup de personnages ? Une dizaine, mais tous sont parfaitement dessinés. Certains sont nobles, d'autres odieux, certains rassurent, d'autres inquiètent. Aucun risque de se mélanger les pinceaux, même quand l'intrigue s'emballe dans un dernier acte angoissant et funèbre.
Chaque volet de la trilogie La Griffe du chien était un accomplissement. Chaque arc trouvait sa conclusion, et on pouvait en rester là. La raison ? La suite n'était pas programmée. Elle s'est juste imposée d'elle-même à deux reprises. Grosse différence avec La Cité en flammes qui a déjà été conçue comme un récit en 3 grands embranchements. Étrangement, la démarche consciente pèse sur l'histoire et empêche même certains personnages de déployer leurs ailes. Pam et Cassie parmi les premières, reléguées à l'arrière-plan alors qu'elles sont essentielles l'une comme l'autre. Il est également surprenant que Don Winslow ne développe pas davantage quelques protagonistes secondaires, Sal ou Jardine. Le premier aurait pu aisément se hisser au rang des névrosés sublimes, tandis que le deuxième est limité à un rôle quasi-spectral là où il avait le potentiel pour s'imposer en tant que figure énigmatique jusqu'au dernier chapitre. Il y a fort à parier que Winslow se réserve pour un deuxième volet plus fourni et complexe. C'est tout de même dommage, car le sentiment d'inachevé persiste sans ôter la grande qualité de cette fresque en devenir.
P.S : Le roman est agrémenté d'une sorte de teasing, en proposant les deux premiers chapitres du 2nd opus. Personnellement, je n'adhère pas à cette démarche, ni au cinéma ni en littérature. Une sorte de glissement de terrain vers l'entreprise commerciale, opportun mais parfaitement inutile. J'ai donc choisi de ne pas lire ces deux petits morceaux.