Je ne trouve pas l'édition de la nouvelle traduction intitulée "Travail utile, fatigue inutile", mais vous retrouverez ce texte dans ce recueil, dans une autre version de l'original, pertinent, court et essentiel "Useful Work versus Useless Toil". Le constat est simple : on pourrait faire les choses autrement, et ça dépend surtout du blocage d'une certaine classe, celle qui exploite les autres. Repos nécessaire, sentiment de ne pas produire de la camelote nocive, récupération de la production par ses propres mains, et enfin sentiment de plénitude liée à la diversification des tâches et à l'harmonie de son activité, conjointe avec les règles de la nature et des diverses sociétés où l'on se retrouve catapulté : voilà le programme. Réaction épidermique à la folie du XIXe siècle industriel, ces petits textes socialistes (selon le terme original, le vrai quoi), et aussi libertaire gardent également un petit fumet réactionnaire, dans le sens où, évidemment, c'était mieux avant, avant la division du travail, l'encasernement, la consommations de denrées frelatées pour les pauvres, le gaspillage insensé pour les riches. Rien n'a changé, on a juste remplacé de la camelote par une autre, des dynasties de feignasses pétées de thune par d'autres (un peu). Et on se rend compte aujourd'hui, en plus, que cette manière de faire entraine quasiment l'autodestruction de la planète.
Afin de ne plus voir l'humain comme un parasite toxique sur cette planète, il faut donc "simplement" réfléchir deux minutes et prendre soin de soi, et évidemment faire comprendre avec la manière qu'il faut à ceux qui ne seraient pas d'accord qu'il faudrait maintenant arrêter de casser la créativité, l'humanité, l'environnement, la concorde. Et arrêter de soumettre à l'esclavage les trois quart de la population.
Jolie synthèse des utopistes de la fin du XIXe, très inspirée par les idées marxiennes ou fouriéristes vu de loin, William Morris donne aussi une vision particulière de la critique du progrès, imprégné quand même du mythe du paradis perdu, et des lendemains qui un jour chanteront de nouveau, comme si le temps était quelque chose de linéaire avec un début et une fin, comme si finalement l'apocalypse était souhaitable. Evidemment, on lit ça, on voit que ça été écrit en 1889, et on entend exactement la même chose sur tous les canaux, ce christianisme à peine refoulé, cet antimodernisme, les mêmes réactions au capitalisme destructeur, les mêmes symptômes de toxicité de ce capitalisme destructeur contre lesquels on semble cyniquement impuissant juste parce que bizness iz bizness. Tout change, rien ne change, encore...