"La Classe de Neige" de Carrère, c'est un peu comme si "Le Petit Nicolas" de Sempé et Goscinny avait mal tourné. On a tous, un jour ou l'autre, connu ce moment angoissant du voyage scolaire, où il va falloir partager plus qu'un jour d'école avec des camarades qui nous sont à la fois familiers et étrangers, où il va falloir supporter pendant une semaine ceux qu'on avait déjà du mal à blairer. A travers le regard inquiet de son personnage principal, Nicolas (ce prénom, pourtant assez commun, sera très souvent répété, au point qu'il finira par devenir lui aussi une source de malaise), l'auteur tisse un roman suffocant et désenchanté, huis clos figé dans l'atmosphère pesante d'un hiver opaque, d'une stase éternelle. Car notre héros est un garçon légèrement mal dans sa peau : entre son univers familial lourd et chargé de secret (père bourru et distant, mère invisible en proie à une peur inexplicable) et les terreurs enfantines qui l'assaillent, il se fait des films d'un rien, prisonnier d'une imagination débordante qui l'accable de scénarios malsains et parfois limite trash. Là encore, impossible de ne pas se revoir à cet âge où l'on commence vraiment à s'ouvrir sur le monde, à comprendre des choses, à essayer de trouver des réponses nous-mêmes, pensées qui parfois nous embarquent vers des extrapolations délirantes, effrayantes ou insoutenables. Confiné dans son chalet pour cause de maladie imaginaire, Nicolas, un peu exclu par les autres élèves (pas de bol, il est nouveau dans cette école et on ne cherche pas vraiment à l'y intégrer), s'escrimera toutefois à attirer l'attention d'un certain Hodkann, la bête noire de la classe, grand, costaud, au comportement bizarre. Et si une complicité finira par s'installer entre eux, elle naîtra toutefois d'un événement sordide (l'assassinat d'un gosse de la région lors de leur séjour), qui, loin d'arranger le cas de notre angoissé chronique, le précipitera plus rapidement que prévu dans l'engrenage d'une réalité menaçante en l'y impliquant directement.
Avec ce livre, Carrère réédite ainsi l'exploit de "La moustache" sorti presque dix ans plus tôt, se jouant de nouveau des sensations et des perceptions de son personnage, nous embourbant, comme lui, dans cette neige silencieuse, cet effroi engourdissant, ce somnambulisme trouble. Malin, presque pervers, il insiste parfois sur le regard bienveillant et compatissant des adultes mais multiplie les situations ambigües pour mieux nous tromper, comme ce court chapitre halluciné qui se déroule vingt ans plus tard et dont on ignore, finalement, s'il s'agissait d'un cauchemar ou bien d'un avenir peu reluisant. Et c'est encore avec l'étrange impression d'avoir été manipulé, de ne pas avoir décelé toutes les clés de l'énigme, que l'auteur nous abandonne à la dernière page, le nez collé à une porte fermée, le doigt posé sur une sonnette dont le bruit crispant n'aura peut-être jamais de fin.