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La Compagnie noire
7.7
La Compagnie noire

livre de Glen Cook (1984)

Une claque bien sale et méchante pour le meilleur et pour le pire

J'ai toujours été un grand lecteur, et surtout de littérature pour la jeunesse. Percuté par l'adolescence, j'avais laissé cette passion un peu dormante. Mais il y a quelques années, en passant dans une librairie, je décidai de reprendre sérieusement ce hobby. Pour ce faire, il me fallait quelque chose de différent, quelque chose qui ne serait pas un éternel Marvel, une énième déclinaison d'Harry Potter ou encore un voyage du héros sauce Joseph Campbell. En promenant mes yeux sur l'étagère science-fiction/fantasy, je m'arrêtai sur les sublimes éditions intégrales de "J'ai Lu". L'idée de me lancer dans une saga me séduisit et en deux rapides coups d'œil, je vérifiai sur notre fidèle World Wide Web que l'investissement en valait la peine. Une succession de flashs et de titres gras m'indiquant l'œuvre comme "un classique du dark fantasy" me suffit à me convaincre et quelques minutes plus tard je sortis avec cette petite brique sous le bras, et une heure plus tard j'entamai la première page.

Il s'agit ici de l'histoire d'une compagnie de mercenaires. Celle-ci est à la fois réputée et redoutée depuis maintenant tellement longtemps qu'elle en a oublié les origines de sa création. Pour garder une trace de cette compagnie et afin de la rendre immortelle, une personne est chargée d'écrire ses annales. Dans ce premier tome, nous suivrons donc les événements à travers les yeux du délicieux et sarcastique Toubib, le médecin de la compagnie. Toubib nous raconte l'histoire de la compagnie et du monde qu'elle arpente, mais également les péripéties que lui et ses compagnons directs vont vivre. Tout commence avec la fin d'une mission qui se termine en débâcle. La compagnie se retrouve à s'enfuir vers une autre région dans laquelle elle signera un contrat avec Volesprit. Magicien(ne) glauque et démoniaque qui fait partie des lieutenants de "La Dame". La Dame est à la tête d'une armée maléfique qui tente de prendre le contrôle du monde par la force pour y instaurer une domination totale. La compagnie devra alors se mettre au service des "méchants" de l'histoire.

Tout d'abord, parlons de l'histoire : Le thème principal du livre est clairement basé sur la maxime "le bien et le mal sont une question de point de vue". On nous le rappelle sans cesse (peut-être même un peu trop), les gentils sont ceux qui payent le plus la compagnie noire. Même si la notion est traitée avec insistance, le thème fonctionne très bien. Quoi qu'il se passe dans l'histoire, on reste toujours du côté de la compagnie noire. Même quand ces derniers en viennent à commettre des atrocités, Toubib nous rappelle que ceux d'en face en commettent aussi. Face à l'horreur de la guerre, on développe rapidement de l'empathie pour nos soudards qui sont les seuls à se serrer les coudes. On rampe dans la boue avec eux, on crève de faim avec eux, on joue aux cartes pour passer le temps avec eux. Tout le long du livre, on a l'impression de vivre chez les mercenaires, et au fil des pages, il est indéniable qu'on adopte leur psychologie. Plus rien à foutre du combat entre les forces du bien et les forces du mal, on espère juste que les personnages s'en sortent. Oui, on stresse véritablement pour eux, car, mon dieu, il en meurt des personnages.

La mort ici n'est pas là pour choquer ou pour servir une cause quelconque du récit. Elle fait partie intégrante du quotidien de notre milice. Dans l'intégralité du cycle, il arrivera même que des personnages meurent hors champs, ou encore d'une simple maladie. Dans cet univers impitoyable, on finit alors par devenir aussi cynique que Toubib. Les personnages en prennent plein la gueule et donc ils en mettent plein la gueule à leurs ennemis. Coups fourrés, fuites de lâches, tout est permis pour gagner.

Ce cocktail fonctionne à merveille, l'histoire est prenante, car il y a également une histoire plus large qui sert de fil conducteur à l'ensemble du cycle de la compagnie noire. Il est rare d'avoir autant d'enjeux dans de la fantasy, chaque événement, chaque escarmouche, chaque décision impacte l'histoire et les personnages. De plus, nous découvrons le monde à travers l'esprit de Toubib qui est un personnage extrêmement bien écrit. Selon son humeur, les actions observées seront soit drôles, soit terribles. On croit tout ce qui se passe parce que notre observateur reste humain tout au long du roman. Il est horrifié par la guerre, content dans la victoire, énervé s'il a trop peu dormi ou encore rêveur pendant son temps libre. Toubib nous offre l'univers de Glen Cook sur un plateau d'argent dans lequel nous pouvons observer le reflet de l'humanité.

Notons également que les autres personnages ne sont pas en reste. L'un des mécanismes utilisés par l'auteur est de ne pas nous les présenter. On ignore tout de leur passé, jusqu'à leur véritable nom qui est systématiquement remplacé par un sobriquet. Le médecin s'appellera donc Toubib, le sorcier avec un seul œil s'appellera "N'a qu'un Œil", celui qui ressemble à un gobelin s'appellera "Gobelin", ... De ce fait, on rejoint à nouveau la psychologie de la compagnie. Une fois que quelqu'un rejoint les rangs, peu importe son passé, peu importe d'où il vient. La seule chose qui compte, c'est encore et toujours la compagnie noire. Voilà pourquoi la rédaction des annales est si importante, car seuls ils ne sont rien, mais ensemble, ils sont immortels.

Le reste de l'histoire est ponctué de combats et de guerres de plus en plus épiques. Qu'on s'entende bien, il s'agit de vraies guerres. Celles où ton pote tombe à terre en appelant sa maman, celles où tu te caches et te pisses dessus, tellement les forces qui s'opposent sont dévastatrices. Ce sont les guerres qui te donnent des cauchemars et t'empêchent de dormir jusqu'à la fin de ta vie, celles qui marquent ton visage en t'arrachant des dents et en te rajoutant 10 ans d'âge sur tes rides du front. Finis les combats d'heroic fantasy classique où le héros est choqué pendant 3 pages et puis oublie ce qu'il s'est passé, parce que lui et sa joyeuse bande d'amis ont gagné. Dans la compagnie noire, on fait tourner son épée chauffée au rouge dans les entrailles de l'autre pour s'assurer qu'il souffre et qu'il crève. Un sérieux dans les affrontements qui ne les rends que plus dantesque.

La magie est bien présente et extrêmement puissante. La magie n'est jamais utilisée comme une finalité (par exemple : on a besoin d'un objet magique dont le possesseur devient le plus puissant des magiciens et est donc imbattable), non, la magicienne la plus puissante, c'est "La Dame". Personne ne peut rivaliser avec elle, c'est comme ça, rien n'y changera. Les autres magiciens utilisent leurs talents comme moyen. Les sortilèges sont là pour créer des illusions, endormir des gardes, embêter son copain, ou encore pour d'autres utilisations plus absurdes les unes que les autres. Cependant, les sorciers sont plutôt rares, ce qui rend les affrontements mémorables. Les combats sont un plaisir à suivre, car ici, pas de deus ex machina. Les guerres se gagnent (et se perdent) à la sueur du front des protagonistes et en utilisant absolument toutes les ressources possibles et inimaginables. On creuse des trous, on met le feu aux campements et on fait s'effondrer des bâtiments si cela permet de gagner. Pas d'acte héroïque (ou en tout cas très peu) dans la compagnie noire.

Le monde quant à lui est rempli de surprises, parfois un peu déroutantes et à la limite du ridicule. Par exemple : les sorciers se déplacent parfois et se battent en tapis volant. Inédit, certes, mais certaines scènes qui se veulent sérieuses en deviennent parfois burlesques. Une mention spéciale pour les "centaures chameaux inversés" qui apparaissent dans le tome 3 (je ne préfère même pas tenter de les imaginer). À part ces petits moments de pure WTF, on dénote pas mal du bestiaire classique en fantasy, et ça fait du bien. Les mécanismes de l'univers fonctionnent bien et la mythologie tient la route (elle prendra surtout de l'ampleur dans la suite de la saga).

Bon, il faut bien que le livre ait quelques défauts. Passons maintenant au style d'écriture : Clairement, je pense que c'est la critique principale faite à l'œuvre. Le style n'est pas bon. Pas difficile en tant que tel, mais bien trop spartiate par moments. Puisqu'on lit les "annales de la compagnie noire", l'auteur a voulu donner un style rustique pour qu'on ait vraiment l'impression de lire le journal de bord de Toubib. Ça n'était pas nécessaire selon mon avis. Il est parfois difficile de suivre une action ou de s'imaginer un environnement, tellement le style est pauvre. On enchaîne des ellipses et parfois le cadre peine à se mettre en place. Il m'est arrivé de relire 3-4 fois le même paragraphe pour mieux comprendre ce qu'il se passait. Même si cela est voulu et ne représente pas la majorité de l'écriture, il faut un petit moment d'adaptation pour s'habituer au style qui manque cruellement de fluidité.

Cependant, j'ai dévoré le cycle entier sans m'arrêter là-dessus, tant tout le reste vient surpasser ce défaut.

En résumé, la compagnie noire est un roman noir et épique qui dénote de tout ce qui a été fait en fantasy. Je le recommande méchamment à absolument tout le monde, mais en particulier aux amateurs de fantasy qui en ont marre des éternels elfes, orcs et objets magiques fumés qu'on nous propose dans les autres classiques de la fantasy. Le premier volet vaut le coup d'œil. Terminez-le, si le style et l'univers ne vous parlent pas, alors laissez tomber la suite, car tout le cycle s'inscrit dans la même direction. Si par contre, vous avez apprécié vous salir les mains et l'esprit aux côtés des soudards les plus attachants de la littérature avec ce premier tome, alors jetez-vous dans l'aventure sans plus attendre, car les mystères des origines de la compagnie noire ne feront que s'épaissir jusqu'à un final sensationnel.

Elmonaxo
8
Écrit par

Créée

le 23 août 2023

Critique lue 8 fois

Elmonaxo

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