La Controverse de Valladolid traite d’un épisode peu connu de l’Histoire : le traitement des Américains par les conquistadors Espagnols au cours du XVIe siècle.
Le sort réservé aux autochtones faisant débat au sein de l’Eglise, une controverse est organisée à Valladolid par Charles Quint. Sous le regard juridique du représentant du pape, des hommes s’affrontent : Las Casas, le gauchiste chiant et adepte du signalement de vertu sous prétexte qu’il a voyagé (l’ancêtre des Jean-Voyage macronistes qui t’exhortent à sortir de ta zone de confort) et Sepulveda, le bigot chétif inébranlable intellectuellement et peu perturbé par l’empathie.
Grossièrement, Las Casas, tout le long de la controverse, assène des « Ouin ouin, il faut arrêter d’être méchants avec les gentils Indiens » à quoi Sepulveda répond : « Non. Traitons-les comme des objets, car ils n’ont pas d’âme. Selon Aristote, les humains doivent être hiérarchisés, et les Européens, supérieurs aux Indiens, ont le droit et le devoir de les soumettre. »
Bref, tous deux se réclament de Dieu, le Dieu catholique, et le cœur du débat se situe dans la dichotomie entre bonté et charité chrétienne (ne faire aucun mal à autrui), et respect pur et simple des textes sacrés (les sauvages ne descendent pas d’Adam et d’Eve, donc ils n’ont pas d’âme, donc ils ne sont pas humains).
Las Casas est très porté sur l’émotion et la sensibilité, il utilise les descriptions atroces de crimes commis par les Espagnols (dont l’authenticité est débattue) envers les autochtones pour attendrir le juge et son auditoire et va même jusqu’à ramener des Indiens pour prouver qu’ils possèdent des émotions en provoquant chez eux le rire ou la tristesse.
Son adversaire est très branché rhétorique, pas un mot ne sort de sa bouche sans qu’il n’ait au préalable invoqué une référence philosophique ou religieuse. C’est davantage un messager qu’un philosophe à proprement parler. Il ordonnera d’ailleurs à un moine de s’attaquer à l’enfant Indien, afin de voir si des émotions jaillissent des parents.
Si je suis bien plus proche de Sepulveda sur la forme (se référer à des philosophes et des écrivains, quelle classe !), je ne peux pas le rejoindre sur le fond pour des manières évidentes. Bien que ce jugement soit purement anachronique, qui peut soutenir et défendre les horreurs qu’il défend ? Qui peut demander à quelqu’un de s’en prendre à un enfant pour une simple expérience ?
C’est pour ces raisons que le jugement sera donné en faveur de l’hystérique et pénible Las Casas (que Carrière soutient fortement aussi), et que les Américains pourront ainsi être traités en humains égaux aux Européens. Cependant, le gauchiste déchantera au moment du dénouement, glaçant de vénalité et de médiocrité humaine, et le donneur de leçons apprendra la signification de l’expression « balayer devant sa porte ».
Même l’on peut déplorer un style narratif vraiment trop scolaire (on a parfois l’impression de lire des commentaires réservés normalement aux fiches de lectures), la lecture est plutôt plaisante et le thème excite plusieurs curiosités, notamment historiques et rhétoriques. Un bouquin rapide à lire et pas désagréable.