Ni Paul Nizan
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le 12 déc. 2017
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Tu m’as envoyé un livre terrifiant.
J’ai épuisé toutes mes forces à le lire.
Je l’ai lu d’une traite.
Tant mieux.
Je n’aurais pas pu le finir si je m’étais arrêté.
Je l’ai lu comme on regarderait au fond d’un sac une chose vraiment monstrueuse, avant de vite détourner le regard. Je me suis dit : avec la Syrie il y a désormais une nouvelle littérature concentrationnaire. Car Mohammed Khalifé est bien le frère d’Imre Kertész - celui d’Etre sans destin, j’entends. Tous deux écrivent avec le même style objectivant à l’extrême, presque télégraphique. Lui pour dire simplement “ce qui s’est passé” à Auschwitz et Buchenwald, et lui pour “dévider” le contenu de la bande enregistreuse qu’il était devenu pendant ses treize années dans le bagne militaire de Palmyre.
Et c’est fou ce que l’on apprend sur les prisonniers.
Les "mémoriseurs" qui retiennent par coeur les noms, les généalogies, les adresses, les derniers mots et les prières de leurs camarades exécutés en espérant retrouver leurs familles à la sortie et leur en porter témoignage. Les musulmans qui exigent de se faire torturer à la place des plus faibles et des malades pour obtenir le martyre. La folie de Nassim, et celle du professeur de biologie qui ne sort plus la tête de sous sa couverture, et que l’on nourrit dans sa “tanière”, qu’on porte à la douche, qu’on porte aux toilettes, qu’on lave, et qui ne parle plus ni même n’ouvre les yeux pendant des années.
Je reste sidéré et abruti par autant d’horreur, par l’avilissement dont sont capables les geôliers et les militaires.
On peut donc faire glapir les hommes comme des chiens. Il est donc possible, à force de patience et de câbles électriques torsadés, de réduire leurs corps à un unique nerf, leurs vies à une seule grande balafre traversée d’éclairs et de douleurs. Il existe des hommes pour faire manger des souris mortes à des prisonniers en exigeant de se faire appeler “Sidi” (Monsieur).
C’est donc que les militaires de Bachar n’ont rien inventé ; ils ont systématisé tout au plus : ils ont décuplé les techniques, accentué leurs effets, généralisé les douleurs en les étendant à une plus grande partie de la population, mais sous le régime de Hafez tout était déjà là, l’horreur était constituée ; et l’on pouvait déjà entendre ces voix rauques et lourdes d’hommes entrant dans les cellules, ces voix dont parlent les femmes syriennes violées et dont elles se demandent ce qu’elles veulent dire, quand terrifiées elles les entendent : “Tayib, atbalash anta ou abalash ana ? Tu commences ou je commence ?”
…
Mais que te dire encore après ça ?
Rien.
simplement les mots de Mustafa Khalifé :
“J’aurais voulu pleurer un peu…”
Créée
le 16 déc. 2017
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