J’adore Haruki Murakami, que j’ai découvert il y a quelques années avec La Ballade de l'impossible. Depuis, j’ai lu nombre de ses romans avant d’entamer celui-ci.
Autant le préciser d’emblée, cette lecture n’a pas été totalement à la hauteur de mon attente, qui était très élevée, je l’avoue, tant l’œuvre du maître nippon me semble en général confiner au sublime. La première partie du récit est assez décousue et traîne en longueur, donnant du (anti)héros, par ailleurs anonyme, une image morcelée et incomplète (peut-être est-ce le but recherché, après tout). Le personnage principal correspond assez à ceux qu’on peut croiser dans l’univers de l’auteur : un trentenaire dont l’existence incolore et insipide s’organise autour de rituels d’une affligeante banalité, et qui n’entretient avec autrui que des relations inconsistantes et
vouées à l’échec. Cependant, si on le compare aux héros d’autres romans de Murakami, il lui manque peut-être cette blessure profonde, cette fêlure intime liée à un événement traumatisant du passé qui en aurait fait à mes yeux un personnage réellement attachant.
Les choses s’animent et prennent forme quand notre héros est convié bien malgré lui à une (en)quête des plus surprenantes doublée d’une course contre la montre, à la recherche d’un ami d’enfance mystérieusement disparu ainsi que d’un mouton étoilé, doté de pouvoirs aussi gigantesques que maléfiques. S’ensuit un voyage, à première vue moins initiatique que dans d’autres récits de l’auteur, quoique…
Murakami est bien un maître incontesté du réalisme magique : il s’y entend comme peu d’autres pour nous faire pénétrer dans un monde si proche du nôtre et pourtant si éloigné, où l’invraisemblable devient possible. Dans ce Japon des ’70 qui hésite entre tradition et modernité, on côtoie des personnages aussi improbables qu’un chauffeur qui connait le numéro de téléphone de Dieu ou une girlfriend aux surprenantes oreilles dotées du pouvoir de la rendre sublime aux yeux des happy few qui peuvent les contempler . Je me suis demandé parfois, notamment dans la dernière partie du roman, quelle était la part de rêve et de réalité dans les aventures vécues par le héros, sans pouvoir véritablement trancher.
En définitive, malgré ses quelques défauts de jeunesse (il s’agit du troisième roman de Murakami et du premier traduit en français), La Course au mouton sauvage reste un roman subtil, poétique et prenant, même si ce n’est pas pas celui que je recommanderais pour découvrir l’univers de l’auteur.