Après le décès de l'écrivain Pierre Siniac, on a retrouvé un manuscrit original intitulé La Course du anneton dans une ville détruite. Pourquoi cette faute ? Vu l'amour que portait Siniac à sa langue maternelle, c'est une sacrée colle. Le dernier récit avant de casser la plume ? Raté, l'ouvrage était déjà dans les cartons de la maison d'édition Rivages...mais sans faute d'orthographe. Bizarre. Enfin, le roman publié post-mortem (en 2006) intronise directement l'auteur dans son ultime chapitre - une première ! - et s'achève sur une date, assumant un lien très proche avec le réel. La formule d'usage - inspiré de faits réels mais remaniés selon l'inspiration de son rédacteur - ne dissimule pas la curiosité. Le livre avait-il une place à part ?


Siniac reste Siniac. La France profonde, l'Histoire, le mélange d'atrocités et de sarcasmes, tout est là. Mais deux choses font obliquer La course du hanneton dans une ville détruite vers une direction nouvelle. La première, c'est la forme entre le conte, les mémoires et le compte-rendu. Il ne s'agit plus d'un braquage improbable durant l'exode de 1940 comme Sous l'aile noire des rapaces. La teneur est ici plus concentrée, moins chevaleresque. Un tel évènement s'est-il réellement produit ? C'est fort probable, tant la manière dont se tisse l'intrigue paraît naturelle. Et puis, il y a Barbara. La bonne du château, lancée dans une course pour ramener des vivres aux enfants qu'elle héberge, alors que la zone est déchirée par les combats entre alliés et troupes allemandes.


À contre-pied des personnages habituels de Siniac, cette héroïne franche, droite et courageuse tranche dans le paysage. Si l'environnement guerrier est on ne peut plus hostile, cela ne tient pas qu'à la désolation impliquée (associée à un labyrinthe de ruines dans Saint-Lô), mais au rappel que l'homme peut trouver le moyen d'en tirer parti. Si vous avez déjà parcouru certains de ses écrits, vous savez que le romancier n'a pas son pareil pour croquer les caractères nauséabonds. Il cuisine une brassée de protagonistes, de la famille pingre au capitaine d'un détachement américain en passant par deux évadés. Seule Barbara ressort du lot, tant sa conduite désintéressée fend le cœur et impose l'admiration.


Plus court, La course du hanneton dans une ville détruite met un peu de temps à démarrer, il faut le reconnaître. Les ellipses ne servent pas toujours au mieux l'histoire, comme si Pierre Siniac s'en était rigoureusement tenu à ce qu'il avait pu glaner auprès de ses sources. Arrivée au deux tiers, la situation prend cependant une tournure des plus intenses. Puis une fois que le tout est amené au point de rupture, l'émotion affleure et l'affection sincère de Siniac pour son personnage principal. Sans en rajouter, le plus simplement du monde. Ça donne envie d'en savoir plus : qui était Barbara (quel que soit son véritable nom) et à quel point son aventure était-elle authentique ? On ne le saura peut-être jamais, mais ce roman donne envie de s'intéresser à toutes ces anecdotes et ces destins oubliés, souvent réduit(e)s à quelques lignes ou une note de bas de page.

ConFuCkamuS
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le 14 janv. 2023

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