Et Locke a vaincu Bossuet

Les Lumières ont-elles obscurci les profonds changements dans l'histoire des idées qui se sont opérés à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle ?
L'essai de Paul Hazard porte à le croire. S'intéressant à la période allant de 1680 à 1715, il cherche à établir comment les Français se mettent à penser comme Voltaire au lieu de penser comme Bossuet.
Pour réfléchir à cette problématique Hazard s'intéresse à tout; l'histoire des idées, la vie politique, la philosophie bien sûr; la religion; mais aussi la littérature, les arts, la musique. Sous sa plume nous revoyons littéralement vivre Spinoza et Locke, Bossuet et Fénelon, Pierre Bayle et Leibniz, Fontenelle et Boileau, Jurieu et Vico.
Dans cette période charnière, le classicisme, alliage de foi chrétienne et de rationalisme,à son sommet, que la révocation de l'Édit de Nantes devait venir couronner, est en réalité en train de perdre la bataille des idées face aux tenants - et la France d'y perdre sa bataille contre l'Angleterre qui, après la Hollande, impose la tolérance, l'esprit critique, le droit naturel.
Agréable à lire, jamais jargonnant l'ouvrage fourmille de références les plus diverses, d'extraits, de renvois et de citations, qui donnent envie de se plonger dans les oeuvres auxquelles il fait référence.
Prenant le temps de poser les personnages qu'il met en scène, il présente en outre la facilité de ne pas nécessiter trop de prérequis pour être lu.
Parmi les manques, on pourra noter l'absence quasi totale de sujets économiques et sociaux, et une perception datée de ce qui est supposé être la conscience "européenne " qui tend à confondre certaines élites intellectuelles et savantes correspondant entre elles avec les individus ordinaires peuplant cette époque.
A noter que le style est également daté - les tenants de manuels épurés et universitaires y trouveront beaucoup de jugements de valeurs et commentaires qui sont très typiques du style des années 1930, avec un ton très libre, qui conduit à ranger l'ouvrage dans la série "essais historiques" plutôt que manuel scolaire.
Ces menus défauts ne m'empêchent pas de considérer la lecture de cet ouvrage comme très enrichissante et plaisante, et par conséquent, à recommander!