De la fascination des femmes
Après un premier roman historique traitant de la difficulté de naître femme quand un puissant seigneur désespère d'engendrer un héritier mâle, Patrick de Carolis nuance ici une intrigue similaire en hissant une fois encore la gente féminine en rouage indispensable à la mécanique du pouvoir absolu. L'auteur, président de France Télévision jusqu'en Août 2010, exprime ardemment son désir d'être reconnu en tant qu'écrivain par le grand public et se plonge ainsi au sein des paysages de deux pays qu'il connait bien : la France (notamment la Provence), pour y être né, et l'Italie, d'où sa famille tire ses racines. Dans La dame du Palatin, on suit les impitoyables pérégrinations de Paulina, d'origine gauloise, dont l'éducation, particulièrement complète, lui permet de disposer des outils nécessaires qui la guideront jusque dans les milieux les plus hostiles de la somptueuse Rome. D'abord mariée, dès l'âge de douze ans, à un mari à la frontière de la démence, l'apollon Taurus, elle apprend à souffrir et, en dépit de sa terrible sensibilité, à comprendre qu'il n'y a qu'en jouant un rôle que la jeune femme parviendra à s'épanouir pleinement.
Qu'il aborde Néron, Agrippine, Poppée ou Britannicus, La dame du Palatin s'articule presque entièrement autour de faits historiques réels et manie avec habileté les travers des grandes familles romaines. Le personnage de Sénèque est par ailleurs la figure phare du roman, puisque Patrick de Carolis s'attache presque à nous livrer une biographie de son existence : dramaturge et philosophe, précepteur de Lucius (qui deviendra l'empereur Néron) puis conseiller personnel de ce dernier, il n'a de cesse d'oeuvrer pour une doctrine du "bon savoir vivre" et la nécessité pour un empereur de faire preuve de compassion ; ce qui le distinguerait d'un tyran. L'auteur ponctue d'ailleurs son texte d'une foule de citations issues des oeuvres de Sénèque (à partir, notamment, de Sur la vie heureuse et De la tranquillité de l'âme) qui appuient les scènes et nuancent le jugement que le lecteur peut porter sur l'effroyable déroulement des évènements. En effet, on ne peut se borner à imaginer qu'il a existé des personnages seulement "bons" ou "méchants", pas plus qu'il s'agissait d'un jeu d'échecs dénué de sentiments : qu'importe leurs agissements, leurs folies ou leurs terribles croyances (à la manière de la secte de Pan et ses orgies sanguinaires), les romains mènent leur vie comme ils l'entendent et aiment à penser que leur réussite, née d'une ambition démesurée, l'emportera sur les moyens mis en oeuvre. Un nom pour la postérité vaut bien un meurtre, nous diraient-ils.
Pourquoi les tyrans se complaisent-ils tous dans la folie ? Nous ne le saurons pas, mais Patrick de Carolis exhibe avec aisance les travers d'un pouvoir qui ne s'embarrasse jamais bien longtemps de la morale ni de ceux qu'hier, pourtant, il appelait encore ses "amis". Car si Rome est brutale, sanglante, cruelle : la grande Rome, elle, est sublime, psychotique et passionnante. En permettant que toutes les ambitions puissent se réaliser, que tous les désirs soient assouvis, l'Antiquité romaine garantit un accès au bonheur immuable : néanmoins, ce bonheur nécessite de souffrir en silence, d'interpréter un rôle qui se joue de tous, et jamais n'autorise le rêveur à défaillir. Le cirque du pouvoir promet les merveilles d'un monde impitoyable, mais les hommes aspirent pourtant à quelque chose de plus grandiose encore : graver leur nom dans l'Histoire, et assurer la pérennité de leur existence pour les millénaires à venir.
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