Modiano, je le lisais quand j'avais la trentaine et je l'avais abandonné. J'y reviens avec son dernier roman, La danseuse. Tout est flottant dans ce récit empreint de la nostalgie qu'on attend du prix Nobel de littérature : le narrateur évoque une liaison avec cette femme qui prend des cours de danse et a la charge d'un garçon, Pierre. Le narrateur va nouer une relation avec ce dernier. Avec la danseuse ? On ne sait s'il est son amant ou simplement son ami. L'unique évocation d'un rapport sexuel, avec Pola Huberson pour un moment suggéré de triolisme, ne suffira pas à lever cette ambiguïté. On sait juste que le narrateur est parolier de chansons puis traducteur, qu'il aspire à être écrivain, ce qui réclame le même type de discipline que la danse.
Diverses péripéties nous sont contées. Un type l'importune en bas du studio Wacker, une sorte de "revenant" puisque cet André Barise la suivait déjà avec son frère lorsqu'elle était au collège. Serge Verzini, un ami de son père, homme providentiel puisqu'il fit se rencontrer la danseuse et le mère de Pierre puis fournit au narrateur un appartement, promet de régler cette affaire de façon expéditive. La danseuse entretient une relation là encore ambiguë avec un beau collègue, Georges Starass. Pola Huberson, une riche mécène, accueille aussi régulièrement notre danseuse chez elle. Ces histoires ne trouvent jamais d'accomplissement : Barise n'est pas puni par Verzini et ni Starass ni Pola ne deviennent explicitement amant-es de la danseuse. On croise aussi Hovine, un ami d'enfance toujours là pour aider, et Kniassef, maître à danser russe qui pousse l'héroïne à se dépasser.
De son côté, le narrateur oeuvre pour un certain Girodias, dont j'apprends qu'il édita rien moins que le Lolita de Nabokov en France. Quelle est la part de récit vs la part de roman ? Là aussi, c'est le flou. Ce flou se déroule comme dans un rêve, dans un Paris d'antan bien différent de celui d'aujourd'hui, caractérisé essentiellement par tous ces gens qui traînent des valises à roulettes. Beaucoup aimé cette unique observation pour raconter notre époque. Un artiste ne peut qu'abhorrer ces engins bruyants et mangeurs d'espace.
Oui, décidément, cette Danseuse a tout d'un rêve éveillé. Une phrase dit bien le parfum de ce roman, page 41 :
Elle finissait par penser qu'il s'agissait d'un rêve, de ceux dont il subsiste encore des relents le lendemain, et même les jours suivants, si bien qu'ils se mêlent à votre vie quotidienne et que vous ne pouvez plus séparer le rêve de la réalité.