1842, quelques années après Alamo et la victoire texane de San Jacinto, rien n'est pourtant définitivement assuré pour la jeune nation. Au sud du Rio Grande, le Mexique attend le moment propice pour prendre sa revanche. Des bandes armées franchissent le fleuve pour piller communautés et villages, faisant régner une insécurité, prétexte à de nouvelles violences. Et en effet, les Texans fourbissent leurs armes, organisant des milices mobiles afin de garder la frontière et pour mener de justes représailles en terre mexicaine, parmi ces métèques qui sont tout juste des hommes à leurs yeux.
Le narrateur, un jeune garçon de quinze ans au moment des événements, signe son engagement dans une de ces milices, un groupe hétéroclite mené par des officiers aux principes entachés par la haine, le goût pour la guerre et affichant des idéaux plutôt frelatés.
« J'étais aussi follement avide de gloire que chacun de mes compagnons. Mais, assez vite, nous vîmes tous les choses autrement, car nous avions abandonné ces rêves de gloire et ne nous battions plus que pour gagner. Puis, tout aussi rapidement, nous n'avons lus pensé à rien d'autre qu'à un grand verre d'eau fraîche ; enfin, avant même que tout fût terminé, nous ne désirions plus qu'une seule chose, rentrer au pays. »
Avec La décimation, Rick Bass explore un épisode méconnu et absurde de l'histoire du Texas. Loin de l'imagerie bravache et naïve colportée par le film Alamo de John Wayne, La décimation propose une vision âpre, sale et à hauteur d'homme de la guerre d'indépendance du Texas. Le livre ne nous épargne rien des opérations menées par ces soldados desgraciados, des souffrances subies dans chacun des deux camps et surtout des passions animant les principaux protagonistes.
Écrit au moment de la guerre en Irak, ce roman apparaît comme un écho des événements se déroulant au Proche-orient, un fait dont l'auteur ne se cache pas du tout.
Toutefois, l'écho politique du récit ne doit pas occulter sa dimension psychologique. En effet, La décimation peut être lu également comme un roman d'apprentissage, celui de deux jeunes garçons, amis d'enfance, que la guerre et les tourments de la captivité – l'essentiel du livre – amènent à se séparer définitivement pour suivre des destins différents.
« Quels sont donc vos buts ? Nous demanda un soir l'interprète Alfred Thurmond – un des personnages importants –, à Shepherd et à moi, car il avait senti notre faiblesse, ou plutôt notre douceur, alors que nous n'avions pas encore prononcé trois mots – c'était un interprète du silence.
- Servir mon pays, répondis-je avec tout le sérieux de la jeunesse. Envoyer un message à l'ennemi, prendre position. »
La réponse de Shepherd fut plus laconique, on aurait dit qu'il avait déjà longuement réfléchi et cherché à répondre à la question.
- Le respect », dit-il.
Et Alfred Thurmond hocha la tête, comme si seul cet objectif-là pouvait avoir une chance d'être atteint.
Au final, il n'y a que très peu de gloire et d'héroïsme dans La décimation. On se trouve face à une histoire toute en nuance, jalonnée d'une multitude d'épreuves où l'instinct de survie et la lâcheté importent plus que le courage et l'honneur.
Si l'allusion à Cormac McCarthy n'est pas abusée, toutefois la dimension métaphysique et la présence écrasante de la nature n'apparaissent pas comme le cœur du propos de l'auteur.