Karine Tuil n'aime pas les sujets tièdes, elle les préfère actuels et chauds, brûlants, même, comme dans le cas de Les choses humaines ou désormais de La décision. Certains de ses détracteurs (moins nombreux que ses laudateurs) lui reprochent d'écrire des livres-dossiers et d'user d'une plume de journaliste plutôt que de romancière. Ce n'est pas totalement faux, dans le cas de son dernier ouvrage, mais toutefois injuste, si l'on considère son entièreté. Oui, le terrorisme est bien le thème central de La décision, à travers le métier de son héroïne qui doit statuer sur le cas d'un jeune homme revenant de Syrie (futur responsable d'attentat ?) mais c'est aussi le portrait d'une femme de pouvoir, juge d'instruction antiterroriste, qui frôle la cinquantaine et vit en parallèle une grande histoire d'amour inattendue. Comment ces deux thèmes vont-ils s'entrechoquer, c'est tout l'art de l'écrivaine, dans un final stupéfiant et choquant. Entre temps, Karine Tuil a varié les approches : aux comptes-rendus d'interrogatoires, d'une grande sécheresse, répondent les interrogations et le malaise d'une femme qui ne doit pas se tromper dans ses choix. Le livre est très documenté, cela se sent, parfois un peu trop, mais la romancière ne se laisse pas déborder par l'analyse des mécanismes de la terreur en y injectant une matière humaine frémissante qui parle à chacun d'entre nous et ne peut qu'émouvoir. L'une des clés du livre se trouve dans un mot : Taqiya, soit, dans la religion musulmane, le concept recommandant la prudence au fidèle en l'invitant à dissimuler sa croyance en cas de danger. Cela aurait pu être le sous-titre du livre, représentant la menace qui plane autour du dilemme terrifiant d'une juge, soumise à la pression et à la peur de mal faire.