Impossible que de résumer, simplifier, objectiver la Divine Comédie, l'un des plus grands chefs-d'œuvre de l'Humanité, écrite au début du XIVe siècle et s'ouvrant sur les fameux vers "Au milieu du chemin de notre vie je me retrouvai dans une forêt obscure, dont la route droite était perdue."

Un peu excentrée ; en marge des grands classiques lus et relus. Pas encore dans la Renaissance si respectée mais plus tout à fait le Moyen Âge que l'on aime à voir boueux. Coincée entre l'idéal classique toujours érigé comme modèle absolu et le XIXe siècle qui redécouvrira Dante...enfin...et encore, uniquement l'Enfer.
Pièce en trois actes alternativement quête initiatique, épopée, traité théologique, pamphlet politique, satyre sociale, roman médiéval, culture classique, déclaration d'amour, manifeste linguistique. Un livre-monde qui demande au lecteur contemporain un véritable effort pour y atterrir et accéder à tous ses continents, tous ses pays.

La Comédie se nourrit d'oppositions, de contrastes ; le poète jongle toujours entre tradition et modernité. Dans un premier temps, au sein même de la structure du voyage, s'opposent la lourdeur infernale et la grâce céleste. Des gens sont découpés de haut en bas, enfermés sous des cloches ardentes, transformés en arbres à la sève de sang, mâchés par Lucifer et au Paradis voltigent des anges éclatants et des saints étoilés baignant dans la lumière. A noter que l'auteur se voit aller, après sa mort, au Purgatoire, au rang des Orgueilleux ; géographiquement situé entre les deux.
En second lieu, dans les nombreuses références qui émaillent le texte. On y retrouve avec plaisir les mythes et héros Grecs et l'on y découvre la vie politique tumultueuse de la Florence du XIVe siècle, secouée sous les spasmes d'une crise religieuse, tout particulièrement les papes corrompus et le conflit florentin opposant Guelfes et Gibelin à propos du pouvoir papal puis entre Guelfes blancs et Guelfes noirs dans lequel Dante participera activement, jusqu'à l'exil. Conflit oublié de l'Histoire, occulté par les remous princiers et glamours de la Renaissance, pourtant passionnant.
Enfin, dans la forme même. Il aura été surnommé le Homère italien, inventant quasiment sa langue moderne à partir du toscan local. Loin du latin policé, il n'hésite pas à aller du plus vulgaire - la "merda" des bolges et les supplices des cercles - au langage le plus éthéré pour décrire là beauté mystique de Béatrice.
Outre une langue, il invente et cimente également toute la mythologie chrétienne de l'Enfer et du Paradis, bien évidemment profondément inspirés du modèle gréco-romain du royaume d'Hadès pour l'un et les sphères de Ptolémée pour l'autre ; auquel il adjoint le folklore et la pensée chrétienne. Des siècles plus tard c'est toujours sa vision qui demeure dans l'imaginaire collectif du monde infernal.

Un auteur de "mauvais goût", dans un siècle "qu'on pourrait appeler de ténèbre" dira Chauteaubriand dans le Génie du Christianisme. Pour le premier point, il y a de ça, du kitsch, du baroque avant la lettre, biscornu et bizarre, gonflé d'évocations érudites, de symbolisme mystérieux, de métaphores alambiquées ; qui ne plombent pas la lecture mais bien au contraire l'enrichissent et lui donnent son ton si particulier. La Commedia est certes bien loin du goût actuel comparée à d'autres classiques restés d'une étonnante modernité et pourtant elle est faite de mille saveurs devenues exotiques.

Chateaubriand écrira aussi : "Shakespeare est comme Dante, une comète solitaire qui traversa les constellations du vieux ciel, retourna aux pieds de Dieu, et lui dit comme le tonnerre : « Me voici. »
Nushku
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le 18 juil. 2011

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Nushku

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