J'ai découvert Mélissa Da Costa avec "Tout le bleu du ciel". Un roman qui fait verser une petite larme mais qui se termine sur une touche d'espoir. Un de mes livres préférés. Je lis beaucoup, je suis presque boulimique et j'enchaine sans jamais m'arrêter. Un livre terminé, un autre commencé dans la minute qui suit ce qui me laisse peu de temps finalement pour en faire l'introspection. Génération Amazon, on nous appelle. Et peut être pas à tord. En revanche, quand un livre ébranle au point où on est incapable d'entamer la lecture du suivant tant il nous habite, là on sait qu'on touche quelque chose.


"Tout le bleu du ciel", ça a été ça. J'ai lu tous les autres bouquins de Mélissa Da Costa ("Je revenais des autres", "les douleurs fantômes", "les femmes du bout du monde"...) qui m'ont certes transporté comme seule sait faire Mélissa Da Costa avec sa plume exceptionnelle mais jamais ils n'ont atteint la fibre interne qu'a touché "Tout le bleu du ciel" en moi.


Chacun de ses romans, "Tout le bleu du ciel" y compris, sont remplis d'espoir. Les personnages sont abîmés mais au fil du roman ils reprennent vie. "Tout le bleu du ciel" en étant l'apogée. La vie continue, semble-t-il dire, dans sa dureté mais aussi dans sa beauté.


La Doublure marque une énorme coupure avec cette habitude. Le roman s'ouvre sur un personnage que la vie n'a pas épargné, un personnage dont la vie familiale a laissé des stigmates, dont la vie amoureuse vient de s'arrêter net alors qu'il avait rythmé sa propre vie sur celle de l'autre. En bref, il ne lui reste plus rien et c'est ce qu'il croit aussi. Comme souvent, finalement. Mais rapidement, le personnage se reprend, décide d'enfin vivre pour lui-même et plus pour les autres. C'est là l'ironie du bouquin. Puisque finalement, et je ne spoilerai rien en le disant, le titre du roman reste "la doublure". Deux concepts complètement contradictoire, donc.

Mélissa Da Costa ne nous cache rien : le personnage est embauché pour être la doublure médiatique d'une artiste aux peintures... dérangeantes. Pour ne pas dire dérangées. L'artiste puise son imagination dans ce que l'humanité a de plus morbide. Et tout au long du roman, on ne se demande pas si finalement Mélissa Da Costa n'est pas elle-même entrain de puiser dans sa propre noirceur. Les personnages s'enfoncent tous. On a l'habitude des romans (et même des films voire des jeux vidéos narratifs) où dans la première partie de l'histoire les personnages vont toucher le fond et où on se demande comment ils vont remonter la pente. Puis quelqu'un, quelque chose, leur sourit, leur prend la main et on assiste à leur renaissance avec une petite morale ou leçon de vie dissimulée (ou pas) qui conclut le roman et nous permet de le refermer, satisfaits. Satisfaits que le personnage qu'on suit depuis 500 pages s'en soit sorti, satisfait que finalement on a peut être nous aussi une bonne étoile ou quelque chose sur lequel on peut ou pourra compter le moment venu, que l'humain trouve toujours en lui la force de continuer... La fiction rassure la réalité. Je semble ironique mais pourtant je mentirais en disant que ce n'est pas ce que je cherche avant tout dans un roman. De m'évader vers quelque chose de beau, qui donne le sourire, qui donne surtout envie de se replonger dans le roman. Pourtant, et c'est là la puissance de l'auteure, son roman, alors qu'il devient de plus en plus noir et qu'on s'enfonce dans les limbes, donne envie d'être continué. Comme le personnage entrainé par ses propres démons, nous sommes entrainés par les nôtres qui nous supplient de nous en donner encore parce qu'on veut continuer d'assister à tout ce drame, cette noirceur. Personnellement, c'était aussi parce que je me demandais comment (et quand) le personnage allait s'en sortir. Il y avait quelque chose de l'Assomoir de Zola (dans sa construction, j'entends).


Mélissa Da Costa est un grand écrivain et elle nous le rappelle avec La Doublure. J'ai préféré l'univers et la note finale de Tout le bleu du ciel mais j'ai été impressionnée par La Doublure qui a trouvé une toute autre résonnance. Une semaine après avoir refermé le livre, il continue de "me hanter". Il est si sombre, si obscur, on s'enfonce tellement loin et on attend la lumière, désespérés mais attirés encore et toujours par la noirceur. Comme tous les personnages du roman, y compris les moins importants. C'est ce sentiment d'être happé, de se débattre avec l'obscurité du récit, de croire qu'il faut lire toujours lire pour essayer d'avancer dans le récit et réussir à lui échapper en atteignant rapidement la fin pour espérer y arriver qui rend la lecture du roman intéressante. Parce qu'on y arrive pas. Et après avoir refermé le livre, on continue d'y penser parce que la fin, apogée du roman, ne nous épargne pas.

Louvenn
10
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le 7 nov. 2023

Critique lue 627 fois

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