La douleur, Duras l'a écrite, à sa manière. A travers ce recueil de textes elle évoque son expérience de la shoah, c'est-à-dire celle de l'angoisse, de l'attente de son mari déporté. Son retour ensuite, le combat pour la vie. Ce qu'elle met en scène, c'est précisément la vie, ou l'absence de vie dans laquelle plonge l'incertitude, le non savoir, l'impuissance. La douleur est ce cri silencieux, qu'elle rend, par ce style si caractéristique, cette écriture courante. Parfois les mots prennent le dessus. Les répétitions en sont la preuve. Elle s'exprime, se laisse exprimer.
Les autres récits témoignent de son expérience de résistante, la difficulté de la torture, l'humanité mise à l'épreuve. La tension entre le devoir et l'empathie. Et on le ressent, car Duras partage cette douleur. Elle la partage avec le lecteur, et avec tous ceux qui l'ont ressentie, les femmes, surtout. Ses phrases courtes, incisives, pleines d'une force sincère, rendent le sentiment palpable. Duras écrit sans lyrisme, elle écrit la vie, telle qu'elle la ressent, avec une émotion distancée. « Je me suis retrouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n'ai pas osé toucher et au regard duquel la littérature me fait honte ». Ce livre, c'est cela aussi, une réflexion sur comment écrire ce qui ne s'exprime pas. Quels mots pour évoquer un sentiment qu'elle ne laissait souvent sortir hors d'elle que par un cri, tantôt sonore, tantôt muet ? Écrire le cri, rendre sensible le silence, pari impossible, et pourtant Duras y parvient, avec brio.