C'est l'histoire d'une errance, d'un jeune homme qui peine à survivre en écrivant des articles, et doit sans cesse lutter contre la faim. Hamsun ne nous épargne pas, les descriptions du jeûne forcé et de ses symptômes sont cliniques, froides. Cette froideur est renforcée par l'écriture d'Hamsun, très incisive. Le lecteur se trouve totalement plongé dans ses sensations, le style est très intériorisé, notamment dans les dialogues, où style direct et indirect se mélangent.
Est-ce pour autant que le narrateur suscite la pitié ? Ce n'est pas si évident. On a affaire à un vrai antihéros, qui fait preuve de beaucoup d'ambiguïté, tantôt gonflé d'orgueil, tantôt animé d'élans de générosité compulsive, tantôt cracheur de venin. Impossible de ne pas faire un rapprochement avec Crime et châtiment de Dostoïevski. Mais à la différence de Raskolnikov, qui provoque la fatalité par son crime, le narrateur de La faim semble être le jouet du destin, mû par une puissance supérieure qui l'anime et l'entraîne comme un pantin de mal en pis pour son bon plaisir. Il est frappé par la malchance, en même temps son attitude pour garder un soupçon de dignité ou "paraître" le dessert et l'enfonce dans une position de plus en plus inconfortable. Il y a quelque chose d'absurde dans sa conduite, totalement impulsive et incompréhensible, n'obéissant à aucune règle logique. A travers ce personnage, et ses "flux de conscience" d'une grande modernité, c'est tout un pan de la littérature à venir du XXe siècle qu'on peut entrevoir (Kafka, Faulkner…)