Pour être honnête, en m’attaquant à la Comédie humaine, je le craignais un peu mais je m’attendais à ce qu’il vienne plus tard, ce moment où je ne verrais vraiment pas grand-chose à écrire… Du coup, si je commençais par un résumé ?
Thaddée Paz et Adam Leginski, deux membres de la diaspora polonaise (ça se dit ?) qui se doivent mutuellement la vie, arrivent à Paris autour de 1835. Ils tombent amoureux de Clémentine de Rouvres, mais le premier se tait et le second l’épouse, prenant Paz à son service, comme intendant. Thaddée continue à ne rien dire, car « la reconnaissance, ce mot de l’énigme que présentait sa vie, le clouait dans cet hôtel où lui seul pouvait être l’homme d’affaires de cette famille insouciante » (p. 215). Mais Clémentine flaire l’anguille sous roche ! Alors Thaddée, pour donner le change, imagine et simule une relation avec Malaga, une femme (facile) de cirque : « Après avoir inventé sa passion pour une écuyère, il devait lui donner quelque réalité » (p. 225).
Au bout du compte, vis-à-vis de Clémentine, Thaddée ne se conduira jamais qu’en sigisbée, comme Butscha dans Modeste Mignon – mais Butscha est laid et n’a pas d’amis –, ou à la rigueur comme Cyrano cinquante ans plus tard – avec Adam en guise de Christian et des physiques inversés. Il me semble d’ailleurs que c’est Thaddée, le véritable héros de la Fausse maîtresse – il ne reparaîtra pourtant qu’une seule fois dans le cycle, figurant dans la Cousine Bette. Mais un héros de fiction amoureuse qui préfère la reconnaissance à l’amour : « il voulait le loyer de sa vertu » (p. 231). Voilà, voilà…
Qu’ajouter ? Peut-être que les personnages de la Fausse Maîtresse évoluent très peu. La liaison de Paz et Malaga n’est qu’un leurre, Clémentine devient seulement une maîtresse de maison plus accomplie : ni les relations qu’ils entretiennent, ni leurs caractères ne changent suffisamment pour faire décoller l’intrigue. « Paz, uniquement grand par le cœur, allait alors au sublime ; mais dans la sphère des sentiments, plus homme d’action que de pensées, il gardait sa pensée pour lui. Sa pensée ne servait alors qu’à lui ronger le cœur. Et qu’est-ce d’ailleurs qu’une pensée inexprimée ? » (p. 219) : cette impression d’inachèvement que suscite Paz gagne la nouvelle tout entière.
Comme toujours chez Balzac, la société est une scène : « Me voilà donc mariée à deux Polonais, dit la jeune comtesse avec un geste comparable à ceux que le génie trouve sur la scène. » (p. 211). Ou, si on préfère, un plateau de tournage : « La comtesse examinait Paz en dessous, de même que Paz la contemplait dans la glace » (p. 221). Les acteurs, à la merci du metteur en scène, savent à peine qu’ils sont des acteurs : « – Le fait est que je ne voudrais rien avoir d’animal, dit la comtesse en lui lançant [à Paz] un regard de vipère en colère » (p. 235).
Surtout, tout se passe ici comme s’ils attendaient des consignes. Et peut-être qu’au bout du compte, la Fausse Maîtresse est une chouette nouvelle sur l’attente.