A travers trois époques, trois femmes et trois styles littéraires différents, l'auteur
semble articuler la singularité d'identités et de trajectoires individuelles avec ce qui pourtant les unit entre elles et dans le fil de l'Histoire.
Cette singularité, c'est d'abord la manière dont on se représente en tant qu'individu, dont on se défini en tant que sujet. Qu'il s'agisse d'Anne, d'Hanna ou d'Anny, toutes doivent alors se construire et composer avec les représentations dominantes de leur époque.
Bien que cédant à différents degrés et à différents moments à la pression sociale, elles ne se reconnaissent pas à travers l'image d'elles-mêmes que leur reflète et leur impose leur entourage. Ce rôle social attendu et exprimé par les hommes, leurs familles, leurs contemporains, elles le refuse.
"Je me sens différente" murmure Anne au commencement du premier chapitre, elle qui évolue dans le Bruges du XVIème siècle, marqué par la réforme luthérienne. Ceci à l'instar d'Hanna, Viennoise participant au début de la psychanalyse freudienne, qui écrit quatre siècle plus tard à une amie qu'elle "craint d'être différente. Affreusement différente". Anny, talentueuse actrice Hollywoodienne de notre époque et au penchant auto-destructeur, est moins nuancée : "C'est qui, cette pute ?" s'écrie-t-elle en s'apercevant dans le miroir d'une boite de nuit.
Si chacune est confrontée à des problématiques spécifiques - bien que similaires en de nombreuses facettes du miroir - elles recherchent ailleurs si ce n'est une identité plus profonde, peut-être un sens à leur existence, sans doute un moyen d'atténuer ces tensions.
Elles en chercheront alors logiquement les clefs là aussi dans ce que peut proposer les cadres explicatifs dominants de leur époque, exprimés par les tenants de la Morale et/ou de la Raison. Elles n'y trouvent qu'en partie les réponses, qu'il s'agisse de s'appuyer sur la religion, l'inconscient, ou la biologie, le normatisme comme la science n’apparait pas en mesure d'épuiser les doutes et les ressentis.
Pour Anne, "puisqu'un reflet produit une image à l'envers, celui d'Anne présentait l'inverse de ce qu'elle était". Pour Hanna, "lorsqu'elle souffrait de son identité, elle souffrait d'une fausse identité". Anny, qui ne se sent véritablement épanouie que lorsqu'elle s'oublie dans son rôle la question reste ouverte, "Qui est le reflet. Où est la réalité?"
Reflet de notre époque, reflet que l'on renvoie à autrui, reflet que l'on se fait de soi-même. "Je est un autre" écrivait Rimbaud.
Mais cette unité ne réside pas seulement dans la juxtapositions de problématiques et de contraintes qui peuvent traverser les époques de manière synchronique, elle semble aussi pour l'auteur s'exprimer de manière diachronique dans le mouvement de l'Histoire. Pas seulement du fait que chacune laisse une trace à ses prédécesseurs, par l'art ou l'écriture, - en se rapprochant ainsi de ce tilleul aux racines solidement ancrées qu'elles finissent toutes par rencontrer et chérir au cours du récit, lui qui traverse le temps - traces facilitant la construction et la reconstruction des prochaines Anaïs.
Qu'on se la représente dans une perspective mystique au travers de l'amour de la nature voir du divin pour Anne, au travers de la libido, pulsion de vie et de mort pour Anna, ou comme résultante de réactions biochimiques pour l'époque d'Anny, cette unité, cette "vérité plus fondamentale", cette sève, difficile à nommer et à saisir autrement que par l'expérience vécue, se refléterait en chacun de nous.
Une jolie histoire.