De l’américain James Oliver Curwood, nous connaissons en France essentiellement des romans classés en littérature jeunesse. En éditant La femme de l’Alaska (parution originale en 1923), les éditions Arthaud nous rappellent que cet amoureux du Grand Nord écrivait pour tous les publics.
D’emblée, quand elle embarque à l’improviste sur le Nome (du nom de sa ville de destination auquel il est certainement rattaché), Mary Standish apparaît comme mystérieuse et fascinante. Dès les premières pages, un échange sur le pont avec le capitaine Rifle (un franc-tireur ?) nous fait comprendre qu’elle fuyait quelque chose et que c’est uniquement grâce à l’intervention du capitaine qu’elle a pu monter à bord, au dernier moment et sans réservation préalable, avec un sac à main comme simple bagage. Elle prétend aller vers l’Alaska uniquement pour apprendre. Mais comme l’indique le titre, elle aimerait devenir une femme de l’Alaska (titre original : The Alaskan, plus neutre), alors qu’à ce moment, elle peut juste se considérer comme une Américaine. Elle se fait présenter les principaux passagers par le capitaine, en particulier Alan Holt, un homme qui vit plus au Nord (il retourne vers chez lui), propriétaire d’un ranch où il élève des rennes. Aux yeux d’Alan Holt, Mary Standish apparaît comme une ravissante jeune femme de 23 ans, mince et élancée, à la resplendissante chevelure brune. Au gré des allées et venues sur le bateau, des repas dans la salle commune, les uns et les autres font sa connaissance et, rapidement, on la sent en confiance vis-à-vis d’Alan Holt. À tel point qu’elle se promène très naturellement avec lui en posant sa main sur son bras, en particulier un jour d’escale où il lui fait découvrir la ville de Skagway. Ce qui n’empêche pas Alan Holt d’observer des faits bizarres autour de cette charmante personne. Ainsi, elle semble connaître un certain Rossland, ou au moins s’en méfier. Or, Alan Holt sait parfaitement qui est ce Rossland, ni plus ni moins que l’homme de main de celui qu’il déteste le plus au monde (pour des raisons personnelles graves), le dénommé John Graham.
Les événements se précipitent
Un soir (tard), Alan Holt entend du bruit derrière la porte de sa cabine. Un indice l’incite à penser que Mary Standish a probablement hésité là, mais pourquoi ? Quelques jours plus tard, il observe une conversation houleuse entre elle et Rossland. Enfin, un autre soir, Mary Standish vient carrément toquer à sa porte, pour lui demander de l’aider à organiser sa disparition. Sinon, elle risque de ne jamais arriver à Nome. Troublé, Alan Holt hésite et la jeune femme s’échappe précipitamment. Le lendemain, un incident dramatique survient, puisque quelqu’un saute par-dessus bord. Bien évidemment, il s’agit de Mary Standish… qu’on ne retrouve pas, malgré une rapide intervention des secours. Ne comprenant pas pourquoi elle s’est suicidée, Alan Holt en est très affecté et réalise un peu tard qu’il est amoureux ! Mais ce n’est bien évidemment que la fin d’une première partie (non marquée par l’auteur comme telle), à bord du Nome, et le roman ne fait que commencer. Cependant, cette partie constitue à mon avis la plus réussie car la plus marquante. Il faut dire que l’auteur a su établir une situation mystérieuse. Au centre de ce tableau, trône une créature fascinante, aussi bien par sa beauté et son élégance que par ses faiblesses et son caractère et surtout le mystère qu’elle dégage.
Un roman d’amour et d’aventures
James Oliver Curwood se montre inspiré par ses personnages et, n’y allons pas par quatre chemins, il fait de l’Alaska un personnage à part entière, notamment lorsqu’il décrit ses paysages magnifiques, mais également ses habitants. Là-bas, un certain nombre d’Américains comme Alan Holt côtoient bon nombre de personnages originaires du cru, soit des esquimaux appartenant à différentes tribus. Ces Indiens ne sont pas ici les personnages les mieux caractérisés (contrairement à Mary Standish et Alan Holt, ainsi que, dans une moindre mesure, Stampede, ami d’Alan Holt), mais ils contribuent à établir une certaine ambiance à laquelle l’auteur tient visiblement. En effet, dès le début, il s’attache à montrer les effets désastreux de la mentalité apportée par ceux qui, à l’image de John Graham, ne sont là que pour exploiter les ressources de la région comme on presse un citron. Au contraire de John Graham, Alan Holt se montre très respectueux de l’intégrité de l’Alaska, au point de se déplacer à Washington pour défendre ses vues. La préface de Dominique Lanni le rappelle, l’Alaska est le plus grand des États américains (avec le Canada pour les séparer) et son histoire remonte loin, avec ses tribus inuites, mais aussi un mouvement de trappeurs venus de la Russie, de l’autre côté du détroit de Béring, avant que la Russie ne vende cet immense territoire aux États-Unis pour une somme dérisoire. Un territoire qui vit le naufrage dramatique de deux embarcations françaises quand L’Astrolabe et La Boussole de l’expédition La Pérouse y passèrent, y laissant un souvenir fort. Une région qui voit un long hiver où le soleil ne fait que de timides apparitions succédant à un long été où il ne se couche jamais vraiment. Tout cela imprègne avec bonheur La femme de l’Alaska et ses rebondissements, roman auquel on peut malheureusement reprocher une trop grande transparence vis-à-vis des éléments de suspense. Ainsi, le secret de Mary Standish. Lorsqu’elle se décide enfin à le révéler à Alan Holt, on s’en doutait depuis un moment. Il n’empêche que leur histoire d’amour est de celles qu’on apprécie, avec toutes ses péripéties. Je retiens notamment cette période où Alan Holt parcourt la côte à la recherche de son corps qu’il espère rejeté par la mer et où son amour pour elle l’envahit au point qu’il passe ses journées à tout observer en partageant ses pensées avec elle, car, dans son esprit, elle est plus vivante que jamais.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné