Paru le 3 mars 2022 aux éditions du Temps des Cerises, La Femme Grenadier n’est pourtant pas une véritable nouveauté : datant de 1801, ce roman appartient aux œuvres d’un matrimoine trop longtemps occulté, auxquelles il s’agit de rendre la place qui leur est due dans l’histoire littéraire et le champ éditorial français.
Les éditions Le Temps des cerises ont fait paraître La Femme Grenadier le 3 mars 2022. Créée en 1993 par un collectif de trente-trois autrices et auteurs réuni·es autour du poète Francis Combes, la maison d’édition occupe une place singulière : le catalogue propose une grande diversité de textes et fait volontiers le choix d’une littérature engagée. Loin d’être une nouveauté, ce roman écrit par Jeanne Gacon-Dufour en 1801 n’en demeure pas moins un événement éditorial s’inscrivant dans une démarche que Litteralutte suit de près : la mise en valeur d’un matrimoine trop longtemps invisibilisé. Cette édition établie et préfacée par l’universitaire Olivier Ritz permet d’offrir au grand public un roman émancipateur tombé dans l’oubli faute d’édition, comme tant d’autres œuvres écrites par des autrices. Une initiative à saluer et plus particulièrement au vu de la qualité du roman.
UN RÉCIT D’INITIATION & (DÉ)CONSTRUCTION
De quoi s’agit-il donc ? Hortense de Chabry est une jeune aristocrate qui se voit poussée hors de son couvent en pleine Terreur. Jetée dans un contexte politique complexe dont elle ignore tout, abandonnée par un père qui s’est exilé, elle doit se débrouiller seule et sans appui. Pour rejoindre son frère et l’homme qu’elle aime, Hortense s’engage dans l’armée républicaine, travestie en homme. Si le titre tisse un horizon d’attente fort, il est néanmoins quelque peu trompeur. En effet, au-delà du traditionnel jeu de travestissement dont le roman et le théâtre du XVIIIème siècle sont friands, il s’agit d’embrasser plus largement l’histoire d’une jeune héroïne qui doit se construire, s’éduquer, s’ouvrir à la société. L’armée n’est qu’un passage – certes marquant – d’un récit initiatique permettant réfléchir l’éducation des jeunes filles et l’engagement des citoyennes. Jeanne Gacon-Dufour utilise ici la fiction pour faire souffler les idées émancipatrices de la cause des femmes dans le sillage d’une Olympe de Gouges.
Jetée hors du couvent avec pour unique soutien sa « gouvernante », Hortense, démunie, se confronte à une société à laquelle elle n’a absolument pas été préparée. Elle dont le sort, tout tracé, la destinait au noviciat : « Je me voyais déjà fêtée, honorée, comme madame ; je commandais à l’avance à toute l’abbaye, et, en moins de vingt-quatre heures, je me trouvais déchue de mon nom, privée de ma fortune » [p.29]. De fait, la société à destination de laquelle elle a été élevée n’existe plus. Jeanne Gacon-Dufour permet alors au lecteur de suivre de l’intérieur (le récit fait le choix de la première personne) la métamorphose d’Hortense. Afin d’apprendre à vivre dans un monde en mutation, celle-ci doit se saisir de sa vie, et avant toute chose désapprendre, se déconstruire. Si la jeune héroïne fait très vite le constat qu’on ne lui a rien appris au couvent, elle se rend compte aussi rapidement qu’elle est entravée par les préjugés de classe qui lui ont été inculqués. Ainsi, il lui est d’abord pénible d’être tutoyée par la roturière Dorothée, fille du secrétaire de son père (auquel elle doit son salut) et qui deviendra sa plus proche amie, puis sa belle-sœur. De même, elle s’interdit de tisser des liens avec les seules personnes qu’elle peut côtoyer au quotidien : « ma fierté ne me permettait pas d’adresser la parole à nos domestiques ». Enfin, elle peine à écouter son cœur qui la pousse vers Lavalé, jeune homme amoureux d’elle et à qui elle doit d’être constamment protégée : « Je me suis surprise vingt fois (tant les préjugés de l’enfance s’effacent difficilement) à remercier Dorimond et Lavalé, avec un air de protection fort déplacé, vu les services signalés qu’ils nous rendaient » [p.66]. C’est donc cette longue déconstruction que l’autrice nous fait voir dans un texte qui devient une véritable réflexion sur l’éducation.
Lire la suite de cette recension de Claire Tastet sur Littéralutte.