Race
7.5
Race

livre de Sarah Mazouz (2020)

Contre l'universalisme abstrait, la « transposition minoritaire »

Impossible de condenser en 80 pages de format poche l’essentiel de ce qui permet de comprendre les débats actuels autour de la racisation et d’y participer de façon constructive ? Sarah Mazouz n’est pas loin de l’exploit…


La collection « Le mot est faible » des éditions Anamosa accueille de petits livres qui ont pour point commun de «s’emparer d’un mot dévoyé par la langue au pouvoir […] pour le rendre à ce qu’il veut dire» (rabat de 3e de couverture). Très louable, et même vitale intention, qui s’inscrit explicitement dans le sillage du véritable projet de Georges Orwell, trop dévoyé par les temps qui courent.


À l’automne dernier, la sociologue Sarah Mazouz, spécialiste française des critical race studies, a livré dans cette collection un texte sobrement nommé Race, qui a la concision d’un article d’encyclopédie et la rigueur d’une synthèse universitaire tout en proposant, point par point, une forme de philosophie à coups de marteau particulièrement revigorante et salutaire.



CONTRE LE CONFUSIONNISME ACTUEL



Difficile de résumer un tel livre, dans lequel Sarah Mazouz a déjà condensé – en moins de 80 pages – l’essentiel de ce qui s’est écrit sur le sujet depuis plusieurs décennies. L’essai s’articule en neuf chapitres, du propos liminaire, qui relie l’importance de s’assurer du langage conceptuel au I can’t breathe de George Floyd, à la proposition suggérant de remplacer l’« universalisme abstrait » par la « transposition minoritaire ».


Plus de raccourci possible : en tant que tel, il faut conseiller la lecture intégrale de Race à toustes, mais aussi aux éditorialistes, essayistes et piliers de réseaux sociaux qui parviennent encore, en 2021, à dire qu’il suffit de ne plus employer le mot race ou ses dérivés (racisation, racialisme) pour qu’il n’y ait plus de racisme… le plus retors étant lorsqu’on cherche, comme cela devient systématique, à qualifier de racistes celles et ceux qui s’expriment sur la racisation autrement que d’un revers de main.


En effet, les faux débats et les argumentaires biaisés travaillent particulièrement cette question. Ironie à double fond : l’autrice se réjouit, d’une certaine façon, que la parution du texte ait été différée de quelques mois en raison de la pandémie, ce qui lui a permis de prendre pour nouveau point de départ les vifs débats qui ont agité, au début de l’été 2020, la scène intellectuelle médiatique française dans la foulée de l’assassinat de George Floyd et des manifestations massives qui se sont ensuivies. Or, en lisant ce livre, comme je l’ai fait, avec six mois de décalage – et donc en ayant vu fleurir les polémiques relatives au prétendu islamogauchisme des études post-coloniales, la campagne de lancement éditorial d’une Rachel Kahn confondant tout dans un gloubi-boulga qui prétend qui pis est se placer sous les auspices d’Édouard Glissant, ou encore les contresens délibérés lors de la médiatisation du texte de Janice Deul relatif à la traduction du poème d’Amanda Gorman –, je n’ai pu manquer de songer aux phrases, paragraphes et chapitres que Mazouz pourrait ajouter à une édition augmentée de Race.


Et pourtant non, car, tandis que le pays s’enfonce davantage dans le grand n’importe quoi, le texte de Sarah Mazouz n’a pas pris une ride et peut servir, plus et mieux que jamais, de grille interprétative. Les trois polémiques citées plus haut (qui, ne nous y trompons pas, sont davantage que de simples polémiques) n’ont en rien modifié la donne ou le paradigme : bien plutôt, elles viennent confirmer les postulats de Mazouz et rendre la lecture de son livre plus essentielle encore. Il est à craindre que Race puisse prouver son utilité, c’est-à-dire son effectivité, encore quelque temps.


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le 13 mars 2022

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