Les femmes sont toutes "normales" ! (sauf apparement quelques unes...)

[Critique sur les deux volumes de "La femme parfaite est une connasse"] Je dois tout d'abord avouer que j'ai largement baissé ma note initiale, la faisant passer de 5 (Quoi, mais d'où j'ai pu mettre 5!?) à 3, note qui correspond plus fidèlement à ce que j'ai pensé de ces deux livres. Je ne les ai pas entre les mains actuellement mais je les ai parcouru très récemment et de façon très complète, je fais donc une critique à froid.
« Ce livre est LE guide de la femme imparfaite ». D'entrée, c'est ce que je redoutais : le cynisme ne tient pas au fait que ces livres soit des « guides », non non, au fond c'est vraiment l'idée, mais au fait qu'ils critiquent un idéal féminin incarné par « la femme parfaite ». Il y a un but affiché derrière cet humour (qui se veut être un humour léger mais engagé) qui est de décomplexer la femme « normale » = « imparfaite », face à la « connasse » = la femme « parfaite ».
Déjà, il faut savoir que j'ai une obsession (je crois malheureusement, trop personnelle) qui consiste à corriger toute personne évoquant « LA femme » (ou « L'Homme »), au singulier, en faisant remarquer que « LA femme » n'existe pas et qu'on peut seulement parler « DES femmes » (ou « DES hommes ») au pluriel. Voilà comme ça c'est dit, ça me tenait à cœur.
Ensuite, il y a grosso modo deux aspects sur lesquels je veux réagir : le caractère humoristique et léger de ces livres et leur objectif plus « féministe et décomplexifiant ». Pour ne pas être trop brutale, je vais commencer par écrire quelques gentillesses. C'est de l'humour, les auteures insistent lourdement sur ce point, avec notamment dans le volume 2 un rappel sous forme de « réponse au courrier des lectrices » dans lequel elles défendent leur humour et répondent aux attaques. C'est un humour léger (je ne m'attendais pas à autre chose), ironique et cynique (j'adore, quand c'est bien tourné), visuel et ludique (pourquoi pas. On peut parfois avoir envie de lire des livres rigolos et sans prise de tête). La forme, ce n'est donc pas ce qui me gène, je dirai même que c'était ce que j'attendais de ce type d'ouvrage : un truc simple, qui se feuillette aléatoirement et qui se lit vite.
Non, ce qui me dérange vraiment, c'est le fond. Sur le moment j'ai pas mal rigolé (faut avouer que certaines petites phrases sont bien trouvées), mais par la suite, en y repensant, ça m'a rendue triste. Je suis triste de penser que ces livre ont été acheté par (ou ont été offert à) des centaines et des centaines femmes, parce que ce qu'ils révèlent et ce qu'ils transmettent n'est vraiment pas jojo... Typiquement, ces livres me donnent le même sentiment de tristesse que lorsque, chaque année, je vois fleurir en librairie le fameux « Dico des filles » que j'ai adoré étant gamine mais que j'adore maintenant détester. C'est le genre de livre que les filles lisent religieusement, parce qu'elles se posent des tonnes de questions et qu'elles cherchent des moyens pour « s'assumer telles qu'elles sont » (ou plutôt « accepter de ne pas être celles qu'elles croient qu'il faudrait qu'elles soient ») et que ces livres ont des réponses. Il y a des livres que j'estime être bien fait et d'autres pas. En l'occurrence, « La femme parfaite est une connasse » entre dans la deuxième catégorie.
C'est très bien de dire que la femme parfaite n'existe pas (ou que, dans la situation « ironique » où elle existe, c'est une connasse) – moi aussi je le dis très haut et très fort – mais le problème c'est que de le dire ironiquement comme les font les deux auteures, eh bien ça revient à sous-entendre que la femme parfaite existe peut-être quand même bien quelque part (et qu'au fond, « on » aimerait bien lui ressembler) mais que, grâce à l'humour, on va se décomplexer et se libérer de cette image. Dans le monde de ces deux sœurs, l'idéal de la femme parfaite est une pression sociale qu'elles reconnaissent et qu'elles rejettent mais qu'elles ont toutefois intériorisé et élevé au rang d'icône. Leur lutte ne consiste pas à démolir cet objectif inatteignable mais, au contraire, de l'accepter en tant que tel.
Les stéréotypes et les préjugés, présentés sous l'aspect inoffensif de « caricatures » sont dramatiquement perçus comme des évidences et les deux portraits, soi-disant antagonistes, qui sont dressés des femmes (la femme normale et la connasse) sont tout aussi superficiels l'un que l'autre. La connasse n'est en fait qu'une version « améliorée » de la figure de la femme normale qui est proposée : c'est une femme active (elle travaille « au bureau »), qui vit – soyons explicite – à Paris, qui a entre 25 (minimum) et 35 ans (maximum), qui est féminine (= elle aime les fringues, les chaussures à talons et les cheveux longs) et surtout hétéro (parce que son mec, c'est toute sa vie). Elle boit, fume et envoie des textos coquins à son chéri, qu'elle n'hésite tout de même pas trop à tromper quand l'occasion se présente parce qu'elle est « libérée ». Bon Ok. Mais du coup si on est une femme mais qu'on est pas comme ça, on peut quand même être considérée comme normale ? Ou sinon on est quoi ? Une connasse ? Une marginale ? Rassurez-vous, la connasse est un mythe et la normalité est indéfinissable. Mais elles, elles y croient et elles entretiennent, sous couvert d'humour, le malaise face à la perfection, le poids des diktats, l’obsession pour l'apparence et la minceur, l’incompréhension dans les relations hommes-femmes, la difficulté à assumer sa sexualité, et, en somme, tout ce qu'elles prétendent dédramatiser avec humour et légèreté ! Les « conseils » donnés par ces livres, ainsi que les références culturelles « qu'on ne doit plus avoir honte d'adorer » sont bourrés de généralités et de présupposés, dont le plus récurrent et le plus symptomatique est que « toutes les femmes ont des problèmes de surpoids qu'elles doivent combattre avec courage parce qu'on sait que toutes que c'est pas facile-facile tous les jours ». Le plus troublant, et le plus triste, c'est donc que ces livres, en dépit de leur prétention décomplexifiante, soient des recueils de mauvaises stratégies permettant à la lectrice-cible de tromper son monde en donnant l'illusion qu'elle est celle que, dans son fort intérieur, elle sait qu'elle n'est pas et qu'elle ne sera jamais, mais qu'elle admire et qu'elle jalouse : la femme parfaite.
Pour finir, et j'aurais pu commencer par ça mais du coup ça va me faire ma conclusion, j'ai eu l'impression gênante, en lisant les deux volumes, de me reconnaître dans la figure de l'ennemie à abattre, c'est-à-dire la vilaine connasse.
Alix_C
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le 8 janv. 2015

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