Avec les décennies qui nous séparent désormais de la révolution bolchévique, il est aisé pour nous, lecteurs du XXIème siècle, de lire entre les lignes de cette fable politique, de cet incroyable conte anthropomorphiste qu'est "La ferme des animaux". Il est criant que ce récit est la dénonciation de la politique soviétique et plus particulièrement du stalinisme. Mais ce qu'il faut se rappeler, c'est qu'Orwell a écrit ce roman en 1945. Lorsqu'on a cet élément en tête, on comprend beaucoup mieux l'acuité qui lui fut nécessaire, ainsi que le courage, pour produire cette critique à la fois acerbe, réaliste et cynique.
Une forme d'humour également est présente, ne serait-ce que dans le fait de nommer le dictateur de la Ferme des Animaux Napoléon puisque l'empereur français a été, est et restera sans doute pour les Russes leur "meilleur ennemi", toujours admiré, jamais égalé. Ne branchez jamais un Russe sur Napoléon, vous en aurez à entendre tant qu'il restera de la vodka au fond de la bouteille !
Revenons à la lucidité et à l'audace de Gorge Orwell. En 1945 paraît cette fable aux allures de promenade champêtre. Très vite, la situation dérape lorsque les animaux chassent le propriétaire de la ferme dans l'espoir d'une vie meilleure. Orwell a parfaitement su rendre palpable cette utopie passionnée partagée par l'ensemble des animaux de la ferme et prophétisée par un vieux et sage cochon. De fil en aiguille, il montre l'influence croissante de l'élite porcine, puis la manipulation via la propagande et l'ostracisation des gêneurs, enfin la domination violente et le culte de la personnalité.
C'est tellement évident aujourd'hui, ça l'était également en 1945 dans un contexte politique plus tendu entre les belligérants de la guerre tout juste achevée. C'est tellement criant que la façade de la fable ne trompe personne et sonne aujourd'hui encore comme un sombre avertissement.