En février 2013, Hyeonseo Lee s’est exprimée lors d’une conférence TED aux Etats-Unis, son témoignage avait largement été diffusé sur You Tube, plus de 4 millions de personnes ont écouté son histoire et observé ses yeux brillants de larmes. Au début de ce récit, Lee évoque son coeur battant la chamade au moment où elle doit entrer en scène pour relater son histoire, sa crainte que le micro ne capte cette tachycardie. Mais le monde entier a ouvert grand ses oreilles et c’est sa voix qu’il a entendu.
En quittant la Corée du Nord Hyeonseo Lee aura tout à apprendre du monde, en lisant son récit le monde aura tout à apprendre de cette dictature. C’est avec stupéfaction que le lecteur découvre l’horreur qui se trame dans cette mystérieuse partie du globe. L’occident a régulièrement les yeux rivés sur la Corée de Kim Jong-un, mais en vérité que sait-on de ce régime et de ce culte de la personnalité ? Que sait-on de la vie quotidienne de ces habitants qui ne connaissent rien du monde extérieur ?
Le lecteur découvrira d’abord que la politique n’a pas de prise sur l’enfance. Lee n’est pas une enfant malheureuse, sa petite enfance est un cocon, son adolescence une rébellion. De l’extérieur on ose pourtant à peine imaginer la possibilité du moindre mouvement de protestation tant on en craint la réaction. La famille de Lee est privilégiée, son statut social est à bonne hauteur dans ce système de caste fondé sur le degré de loyauté à la famille Kim. Elle frôlera tout juste la famine mais assistera avec impuissance à la détresse de ses concitoyens.
En Corée du Nord le non respect des lois est un mode de survie. C’est ainsi que Lee établie une comparaison éloquente : sa mère a élaboré un trafic de marchandises avec la Chine de manière aussi naturelle que si elle risquait une amende pour stationnement gênant. D’ailleurs, il existe peu d’habitants qui au bord des frontières, n’a pas succombé au trafic. Un reportage de France Télévision a d’ailleurs informé l’occidental de la normalité du trafic de drogue (Opium, meth), moyen pour le gouvernement de renflouer les caisses vidées par un système économique utopique qui n’a jamais fonctionné. Le citoyen ne risque donc pas grand chose en faisant la navette entre Corée et Chine, la soumission au régime est telle que l’idée de ne pas revenir est de toute façon, une aberration.
Si la famine, la délation quotidienne, l’espionnage et les pendaisons marquent le lecteur, celui-ci sera aussi étonné du comportement des pays voisins de la Corée du Nord. Chine et Laos sont abominablement gangrénés par un système puissant de corruption, tout transfuge est un clandestin. Le droit d’asile est inexistant, le moindre mouvement vers la liberté est monnayé. Comme en occident, on assiste au bal diabolique des passeurs de frontières ; dans les situations les plus tragiques il existe toujours des hommes pour profiter des détresses. Le lecteur occidental ouvrira ainsi les yeux sur la normalité aberrante de l’horreur des guerres de frontières, de l’exil, de la migration… L’horreur pour Lee de devoir cacher son statut de transfuge en Chine, de parler mandarin le plus vite possible, le mieux qui soit. Et la surprise d’arriver en Corée du Sud pour faire le chemin inverse, prouver que malgré son mandarin désormais parfait, elle est bien issue de la Corée du Nord, elle mérite bien son statut de réfugiée. Sa sincérité et sa force incommensurable l’auront une fois de plus sauvée.
Désormais libérée de son statut de clandestine, Lee doit apprendre le monde, une nouvelle galaxie. Des nouveaux mots issus de la mondialisation : le Pop Corn, le Coca Cola. Le capitalisme. Elle cherchera à soulager sa mère et son frère dont l’adaptation au monde nouveau sera particulièrement difficile.
Un récit édifiant, sans nul doute nécessaire et jamais teinté de misérabilisme, aucun appel à la pitié. La fille aux sept noms est l’histoire d’une femme extrêmement courageuse. Elle poussera le lecteur à s’interroger : qu’aurait-il fait dans une telle situation, aurait-il été dissident ou soumis ? Que sait-on de nos réactions quand la dictature est une galaxie et un passé lointain ? Quand à l’inverse Lee a du elle, tout apprendre de la liberté et de la démocratie.