Au détour des allées de son immeuble, un soir de 1946, Maurice Bendrix croise le chemin d'Henry Miles.
Pendant plusieurs années, Maurice a entretenu une relation avec la femme de ce dernier. Un jour, celle-ci la quitta sans aucune explication. Son amour passé s'est depuis lors transformé en une haine tenace.
Henry soupçonne aujourd'hui sa femme Sarah de le tromper, et par un jeu du hasard, Bendrix va être amené à mettre un détective privé sur la piste de son ancienne amante…
"The End of The Affair" est un livre dont la dangerosité n'est pas immédiatement décelable.
C'est comme une casserole qu'on aurait laissée sur le feu, et qu'une main hasardeuse saisirait brusquement sans se rendre compte que le manche était en train de chauffer à blanc.
Le retour de Sarah dans la vie de Bendrix va faire ressurgir les douleurs du passé. Le venin s'instillera doucement, les blessures deviendront inévitables. La haine va s'étendre, et donnera naissance à bien plus qu'une histoire d'amour bafouée. Ce sera un véritable chemin de croix spirituel et intellectuel.
Dans la préface, Greene mentionne qu'il hésitait entre la première et la troisième personne du singulier pour écrire son roman. Il optera pour le premier choix, et la narration sera alors vivide, organique, brute pour ne pas dire brutale.
Nous sommes au plus près du chaos émotionnel du narrateur. Ce dernier est un personnage particulièrement antipathique : égoïste, manipulateur, méprisant.
Il est pourtant terriblement humain. Bendrix est angoissé. Il est angoissé par son désir, par celui des autres. A tout ce qui fait appel à l'altérité. Dès que nous nous mettons à aimer, nous mettons en lumière notre manque, nous nous aliénons à l'autre, et nous perdons ainsi tout espoir de contrôle. On se défend alors comme on peut, on essaye de se penser meilleur que les autres, on joue avec les sentiments des gens, on torture les autres tout comme l'on se torture soi-même. Les labyrinthes cérébraux de Bendrix le font souffrir, et pourtant il y tient comme à la prunelle de ses yeux.
Le fil des pensées de Bendrix sera régulièrement interrompue par des irruptions de sensations, de souvenirs, d'anecdotes et de commentaires personnels, encadrant les dialogues et épaississant une histoire banale au premier regard. Pourtant, la guerre interne à laquelle nous serons malgré nous les témoins, sera tout sauf banale.
Toujours dans la préface, Greene exprime ses doutes quant aux évènements de l'histoire, comme si il n'avait pas le contrôle sur leur déroulement. Comme si ces derniers s'écrivaient d'eux-mêmes. Bendrix se demande à un moment donné s'il possède vraiment la propriété de ses pensées. sS ses actions sont bien ce qu'elles semblent vouloir dire. Il évoque même à un moment que "dans l'inconscient, tout est déjà écrit d'avance".
Greene écrit avec une précision rare, celle de l'infiniment personnel, à la fois claire et riche en zone d'ombres. C'est le type d'écriture qui nous pousse à croire qu'il a été lui-même intimement concerné par les tourments de son héros. Est-ce que cela suffit à expliquer le caractère brûlant de son écriture ? Les mots n'ont jamais joué sur le même terrain que l'émotion, et pourtant Greene arrive à donner à son écriture une profondeur et une puissance rare.
D'un autre côté, le livre m'a paru être une invitation à réfléchir sur la manière dont nous construisons les autres qui nous entourent, ainsi que sur le rapport que nous entretenons avec nous-mêmes. Au-delà des turpitudes du sentiment amoureux, c'est le sentiment même de la vie qui se verra questionné, ainsi que son partenaire le sentiment de la mort. "The End of the Affair" aurait pu simplement s'appeler "the End", tant la mort s'impose sans cesse pour trancher dans le vif du sujet. Elle met un terme au doute, elle prend les décisions à la place des concernés, elle rend les gens croyants aux dépens d'eux-mêmes.
Je ne dirais pas que la lecture du livre a été un plaisir permanent. Greene arrive à des conclusions amères sur les relations humaines ou la foi. Des conclusions que j'ai pu trouver désagréables. Mais ne dit-on pas qu'il n'y a que la vérité qui blesse ?
Greene a demandé à plusieurs de ses amis leur avis sur son livre. Une de ses connaissances lui expliqua en toute sincérité qu'il n'avait pas aimé le livre, mais qu'il fallait le publier quand même. Je ne sais pas quel avis poser sur un tel livre. Je sais juste que j'y ai gagné un profond respect pour Greene et son écriture. Je me dis que c'est déjà pas mal.