Riffifi chez les geeks...
A mi-livre, je m’apprêtais à mettre un 4, tiens, faut pas déconner quand même, Isaac Frackking Asimov se foutait joyeusement de notre gueule....
Et puis je finissais le bouquin distraitement, en sirotant un Bayleys, quand soudain, je me suis dis que c'était pas quand même pas mal du tout cette affaire. Pas mal du tout.
Des hommes auto-proclamés Eternels, passent leur temps (hum..) dans un couloir temporel qu'on appelle Eternité. Empruntant des ascenseurs temporels, ils montent et descendent dans le passé et l'avenir à leur guise, changeant les événements pour préserver la trame historique de l'humanité. C'est du lourd, pourrait-on croire.
Et bien non, ce n'est pas du lourd du tout, car en fait de scénario, on se retrouve bel et bien en train de lire un soap opera, dont les héros seraient des geeks tout-puissants, sur-intelligents, paniquant à la vue d'une femme, et se chamaillant comme des gosses de 12 ans. Jugez-en : le super -spécialiste temporel (32 ans, puceau et pas trop éveillé de ce côté là) discute avec son super superviseur " c'est parce que t'es jaloux ! "réponse du super superviseur "Rooh, l'autre, t'as rien compris, c'est pas moi qui suis jaloux, c'est toi! "
Discussion avec la légende vivante des programmeurs, celui qui tient l'intégrité de l'énorme machine qu'est l'Eternité et pour ainsi dire tout le roman: "Mais... mais... il m'a trahi , parce qu'il me déteste depuis toujours!!! Réponse du génie : "Mais non benêt, c'est moi qu'il déteste depuis toujours! " Réponse du héros: "Hein... ?"
Dans cet univers de geek manipulant superbement les moindres recoins du temps, contrôlant événements et conséquences et autres causalités inversées, il n' y a pas de femmes. Quand d'aventure une femme entre dans le tunnel pour y rejoindre les rangs des geeks, le héros s'alarme auprès de sa hiérarchie: "Une femme , c'est mauvais pour le moral des troupes, renvoyez-la!" Réponse de la hiérarchie : elle va bosser avec vous ... (rires enregistrés)
Le machisme de l'ouvrage est en général assez ahurissant *, la femme n'ayant d'autres traits que sa taille fine et ses vêtements. Le héros lui dit d'ailleurs "woman" (utiliser son nom serait trop familier) à une ou deux occasions. Il y a pourtant une histoire d'amour, qui n'est pas sans rappeler un sitcom comme "Ma sorcière bien -aimée"...
De ce galimatias, on pourrait se demander où se cache l’intérêt du livre. Et bien d'abord, c'est quand même du Asimov et il y a de belles conjectures sur l'existence de ce "tuyau de temps" qui parcours les siècles et où circulent de spécialistes chargés d'orienter l'histoire. Il y a un vertige qui vous prend quand les spécialistes voyagent vers le 100 000° siècle, et quand ils alimentent leur tuyau avec l’énergie du Soleil en train d'exploser dans quatre milliards d'années. L'opposition étonnante qu'Asimov fait entre temps et espace est au final assez remarquable. Je m'en souviendrai, en tous cas.
Le livre gagne heureusement peu à peu en épaisseur quand les vrais problèmes arrivent et qu'un final assez grandiose s'annonce (de manière trop convenue). Mais le tour de passe-passe qui enlève mon adhésion tient surtout à ces derniers moments, qui vous font réaliser pourquoi vous vous agaciez des bizarreries quasi- burlesques de l'écriture. Et là, je dis chapeau, Mr Asimov, qui nous a bien mené en bateau. Mais je ne vous " spoilerai" pas la surprise...
Une lecture étrange donc, dont le sel tient à un mot : satire... .
* mais...