C'est avec un petit pincement au coeur que j'ai refermé ce livre qui était un véritable trésor à mes yeux. Mais bien qu'il soit excellent sous bien des angles, je ne peux me résoudre à lui mettre 10/10 à cause de la place des femmes. J'ai l'impression que Murakami les voit à travers un regard masculin et qu'il n'arrive pas à les écrire comme des entités à part entière, qu'elles le dépassent et qu'il se sent systématiquement obligé de les sexualiser. Mais ce qui m'a vraiment choquée, c'est sa façon de décrire le personnage de la petite fille du scientifique.
Il faut savoir que dans son roman, aucun personnage n'est nommé. Tous sont donc désignés par des qualificatifs, des fonctions ou des courtes descriptions. Le personnage de la jeune femme de dix-sept ans ayant quelques kilos en trop, on a le droit à tous les synonymes de "la grosse", pour la définir. "La grassouillette", "la dodue", "la petite potelée", et j'en passe... J'ai failli plusieurs fois refermer le livre à cause de ça mais je m'y suis fait, comme je me suis faite aux fantasmes machos de Barjavel. Mais ça m'a pas mal dérangée.
Outre ce point noir du livre, il est excellent, je vous le recommanderai même. Mais... En même temps, je suis mal à l'aise de le faire à cause du point évoqué plus haut. C'est vraiment dommage que ça vienne gâcher une histoire qui aurait pu être excellente en tous points.
Le livre se présente comme deux tableaux juxtaposés l'un à l'autre, deux univers mystérieux très différents mais ayant de drôles de similarités que l'on va découvrir peu à peu à travers les yeux du personnage principal. On suit la vie de deux hommes, l'un vivant dans un monde pas si différent du nôtre, en dehors du fait qu'il fait partie d'une expérience et qu'une partie de son cerveau a été opérée pour qu'il devienne à moitié une machine retenant des données. Ce personnage va devoir travailler pour un vieil homme qui va lui donner des données à coder, et s'en suivra pour lui une aventure dans un monde souterrain caché dans un placard, pour tenter de retrouver ce vieux scientifique qui va disparaître. L'autre débute son épopée devant une ville silencieuse entourée de murailles et où des licornes viennent se réfugier durant la journée. Pour pouvoir y vivre, il va devoir abandonner son ombre derrière lui car elles ne sont pas autorisées à l'intérieur des murs. Cette ville étrange a un fonctionnement bien particulier : chaque habitant se voit confier une tâche à exécuter chaque jour, et le protagoniste va devenir "le liseur des rêves" de la ville. Chaque soir, à la tombée de la nuit, il devra donc lire des rêves oubliés dans des crânes.
Ce roman est d'une délicatesse et d'une poésie hors-norme, l'histoire est absolument prenante, le rythme ne s'épuise pas car on passe d'un monde à l'autre à chaque fois que l'on change de chapitre, et en plus on arrive vraiment à visualiser ces deux univers parallèles à la fois réalistes et magiques. Personnellement, je buvais ses mots en les lisant et les relisant tellement c'était bien écrit. J'ai aussi trouvé intéressante l'importance que Murakami donne aux objets simples, comme s'il cherchait à leur donner une âme.
Bref, c'est splendide bien que cette histoire de "grassouillette" me dérange.
Peut-être que je dois prendre du recul car le contexte socio-politique est différent. En 1985, les mœurs n'étaient pas les mêmes, je suppose. D'autant qu'on se situe au Japon et non en Europe Occidentale, la place des femmes y est certainement différente. Et dans "Les chroniques de l'oiseau à ressort", j'avais trouvé ses protagonistes féminines assez fortes et bien représentées, si on oubliait qu'elles couchaient quasi toutes avec le héros dans sa conscience.
En conclusion, je mets 9/10. Murakami s'est quand même bien rattrapé avec un livre absolument merveilleux. En espérant qu'il qualifie différemment ses personnages féminins dans ses romans plus récents que je compte aussi lire car je suis amoureuse de sa plume.