Ce « roman sans héros » est celui de deux héroïnes ; mais peut-être Rebecca Sharp, aventurière sans scrupules, ne mérite-t-elle pas vraiment ce titre… Quant à Amélia Sedley, elle est si douce, si dévouée que cela en devient presque de la faiblesse. A peine sorties de pension, ces deux jeunes femmes que tout oppose vont se lancer dans la société britannique. L’Angleterre est alors engagée dans les guerres napoléoniennes et l’auteur mène ses personnages jusqu’à Waterloo. Nous suivons leurs parcours sur une quinzaine d'années, des parcours marqués par des amours contrariés, des revers de fortune, des amitiés brisées puis renouées…
La plume de Thackeray, volontiers satirique, s'amuse à esquisser des silhouettes grotesques, représentatives de tous les vices humains. Comment oublier le gros Joseph Sedley, fonctionnaire aux Indes, aussi fier de ses gilets clinquants que de son solide appétit? Dans cette galerie de francs scélérats, nous faisons aussi la connaissance de lord Steyne, un débauché notoire, de Pitt Crawley qui cache son avidité sous des dehors dévots, de John Osborne, exemple type de l'arriviste, et de son fils George qui mérite bien peu l'amour désintéressé qu'il inspire. Et ce n'est là qu’un échantillon de l'infâmie que vous serez amené à côtoyer ! Le message de Thackeray est sans concession: cette société peu recommandable est la vôtre, lecteur. Dans un monde où la tromperie, l'égoïsme et l'orgueil revêtent des parures respectables, il y a peu de place pour la véritable vertu. Un constat bien noir s’il n’était tempéré par une bonne dose d’humour !
Qui saura mieux tenir son rôle dans ce vaste théâtre des vanités humaines ? La charmante mais perverse Becky ou l'honnête Amélia ?
Ce roman, publié en 1847, est l’un des plus grands classiques anglais. Mille pages fourmillant d’aventures et de traits d’esprit, dont chacune se lit avec délectation. Le narrateur ne cesse d’interpeler le lecteur pour en faire son complice, et ça marche ! On est rapidement captivé par ce style enlevé et spirituel, par ces rebondissements incessants. Reconnaissons-le: tout comme son héroïne Becky, Thackeray n’a pas son pareil pour tisser des intrigues !