Je déteste quand ça arrive : j'ai pris du retard dans mes critiques et je dois écrire sur le premier roman d'un de mes auteurs préférés alors que je n'ai plus que l'impression générale en tête. Tant pis, ou tant mieux.
La folie Almayer fait référence à la maison que fait construire Almayer, le responsable commercial d'une compagnie au bord de la faillite, dans l'estuaire d'un fleuve oublié de Malaisie. En effet, Almayer a souffert de la concurrence de Abdoullah, commerçant arabe dont les bâtiments flambants neufs narguent le Hollandais vieillissant. La première partie du livre décrit la déchéance de l'homme : sa honte face au retour de sa fille Nina, une enfant gâtée métisse à qui il a fait donner une bonne éducation ; ses relations exécrables avec sa femme, une Malaise qui le méprise ; sa nostalgie de Lindgard, le capitaine fondateur de la compagnie, mystérieusement disparu ; les intrigues des locaux : le chef Lakamba, le lointain sultan, l'intriguant Babalatchi, Raschid, le fils d'Abdoullah qui convoite la fille d'Almayer.
La seconde moitié (le livre se divise en douze chapitres) est l'histoire de l'agonie d'un rêve. Almayer a rêvé de monter une expédition censée trouver un dépôt d'or naturel mentionné dans les carnets de Lindgard. Incapable de le faire lui-même, il engage dans l'affaire un jeune marchand, Daïn. Mais l'affaire va mal tourner : le bateau de Daïn est capturé par les Hollandais. Il s'échappe mais on retrouve un corps mutilé portant ses bijoux. En réalité, c'est une mise en scène : Daïn est vivant. Epris de Nina, il part, emportant le seul trésor qui restait au Hollandais. Almayer sombre complétement dans la folie.
Ce livre annonce tellement de belles choses qui vont arriver à la littérature au XXe siècle ! J'ai notamment beaucoup pensé à un brouillon de Faulkner. On retrouve en germes des éléments du Southern gothic, mais dans un cadre malais. Ce sentiment d'une déchéance inéluctable, qui se reflète dans les bâtiments. Cette profonde solitude de chaque être face au sentiment de son destin (chaque individu, créant ses propres illusions, tisse en quelque sorte le lacet sur lequel il s'étranglera lui-même). Il y a quelque chose d'unique dans la manière dont, tels des pions sur une petite scène de théâtre, les personnages interagissent avec les autres, suivant chacun leur propre voie.
Il y a aussi ce jeu sur la chronologie, assez confuse car élaborée par un récit multi-choral, qui là encore, à petite échelle, rappelle Faulkner.
On retrouve déjà aussi ce goût pour les description de paysages naturels qui prennent une forte valeur symbolique, voire existentielle.
Tout est déjà là, en germes. C'est un commencement, et tous les commencements sont importants.