Almayer, jeune colon hollandais, négociant de son état, idéaliste et aventurier de papier part pour le village de Sambir sur l’île de Bornéo, vivre au milieu d’autochtones, commerçants arabes et rares européens de passage.
Rêvant d’aventures et d’opulentes richesses, la chance lui sourit un jour, lorsqu’il rencontre un Grand pirate-aventurier qui lui demande d’épouser sa fille adoptive, une jeune malaise. Malgré quelques réticences, notamment devant une femme non blanche, il accepte, croyant faire une bonne affaire, pécuniairement parlant, en espérant hériter, après l’avoir découvert, le trésor dont son beau père déclare savoir connaitre l’emplacement.
Hors notre bon Almayer déchante vite, celui-ci disparait tristement laissant Almayer sans le sou. Point de grandeur en vu et ce dernier continu à vivre modestement dans ce cadre rebutant, d’une nature indomptable, parmi des gens qu’il ne comprend pas et aux côté d’une femme qu’il n’aime point et qui le lui rend bien, par une aversion proclamée et fait de grands éclats. Heureusement pour lui, sa fille, qui avait été en partie été élevée loin de lui revient, il n’a alors de yeux que pour elle, pour sa réussite future, tout en n’oubliant pas son rêve de trésor, poursuite impossible dans laquelle il va se révéler dupé ...
C’est en fait l’histoire d’un homme qui n’a connu que des échecs dans sa vie, celle de la chute d’un homme déjà agenouillé, la chronique d’une chute annoncée, la déliquescence humanisée. Car oui, point de véritable suspense dans la Folie Almayer, on sait dès le début que tout va mal finir pour notre pauvre bougre. Reste juste à découvrir comment…
Alors certes, la Folie Almayer, malgré un sujet en partie commun (un petit fond pamphlétaire sur la colonisation), n’est pas Au Coeur des ténèbres. Il n’a pas le souffle lyrique, l’ambiance oppressante, étouffante, suffocante et majestueuse de son grand frère, sa descente en enfer magistralement bien menée et sa froide dureté. Pour autant, dans son premier livre que fut la Folie Almayer, on ressent déjà la patte personnelle de Joseph Conrad et la qualité de son écriture que l’on a pu savourer dans Heart of Darkness.
Un des éléments qui est commun aux deux livres, et propre à Conrad, est cette façon atypique d’évoquer, de décrire « la nature » en lui donnant une personnalité propre. Comme si tout compte fait elle était un personnage comme les autres du roman aux côtés des figures humaines qui peuplent le décor. Que l’on parle des étendues d’eau, de la forêt, du ciel, des phénomènes naturels et météorologiques, toutes leurs évocations fourmillent de précisions, de détails, de mouvements, d’agitation, pour donner (certes de manière moindre) au roman une ambiance sombre, mystérieuse, sauvage et essoufflante. Le tout encore une fois, mené de main de maitre par un écrivain à la prose subtile et enivrante. Les prémices de la grandeur sont déjà posées.
Pour autant, j’ai trouvé l’intrigue plutôt classique dans sa construction, et les relations entre les personnages finalement plutôt ternes. Alors certes j’ai beaucoup aimé le personnage central du livre, pour qui ont a tantôt de la pitié tantôt de l’aversion, Almayer, fieffé sacripant, cupide, rêveur déchu, erratique, devenu indigent, adorant sa fille, ayant une attitude ambivalente entre complicité et aversion pour les autochtones, qu’il semble prendre de haut au vu de son statut de blanc occidental. Mais pour le reste, aucun ne m’a pleinement attiré ou intéressé, entre sa fille d’une grande beauté mais souffrant de son statut de métisse, tiraillée entre ses deux parents et étant guidée par un amour naissant, son promis aveuglé par un amour foudroyant, sa femme sorte de personnage végétatif semblant avoir perdu le goût de l’existence, résignée par sa vie de compagne d’un homme qu’elle abhorre plus que tout, les divers marchands malais ou d’autres nationalités etc etc J’ai enfin de compte trouvé la plupart des personnages assez ternes et sans saveur. Ça manquait de sel.
Je dois dire aussi que la lecture fut par certains aspects une petite déception, et cela était sans doute du fait de mes attentes (illégitimes ?). En effet je m’attendais à un côté "aventure" plus poussé, notamment à ce que soit lancé une expédition à la recherche du trésor, entre Almayer Dain et les autres commerçants, alors qu’en fin de compte on a plus le droit une sorte de huis clos au sein du village. Dommage, cela aurait pu donner quelque chose d’intéressant.
Toute compte fait, une tragédie un peu trop classique sous forme de drame familiale sur fond de luttes politiques et d’influences entre marchands pour prendre le contrôle du territoire.
Ces quelques points de détail qui m'empêchent d'être dithyrambique, ne privent pas le livre d’être séduisant, l’ambiance fait mouche, le dépaysement est garanti, l’écriture est belle, fluide et aérée. Une charmante aventure en terre conradienne et surtout une bonne occasion pour découvrir l’œuvre de l’artiste.