Le côté déjanté, ce n'est pas toujours ma tasse de thé en littérature. Ainsi En attendant Bojangles, d'Olivier Bourdeaut, m'avait-il laissé à distance. Lorsque la fantaisie est assénée au marteau-pilon, je rentre dans ma coquille. C'est ce qui aurait pu se produire avec ce roman, d'un auteur que je découvre.
Sauf qu'il y a le style, et Joël Baqué en a un. Les trouvailles poétiques se succèdent à un rythme soutenu. Ouvrons le livre au hasard.
Page 108 de l'édition Folio :
Le soleil était curieusement blanc, comme si l'Antarctique ne le tolérait qu'à la condition qu'il reste l'ombre de lui-même et lui fasse allégeance en revêtant la livrée locale".
Bien dit, non ? Le soleil qui n'est que l'ombre de lui-même et l'allitération de "la livrée locale".
Allez un autre, au hasard :
Page 45
N'ayant ni la main verte ni le goût du bricolage, il fut confronté à l'infernale gymnastique des aiguilles de sa montre qui prenaient tout leur temps pour arriver au grand écart de midi trente, heure officielle du déjeuner, puis à celui de dix-huit heure trente ; il mettait alors la table bien qu'il soit encore tôt, pour appâter le moment du souper.
L'infernale gymnastique des aiguilles qui parviennent au grand écart à midi trente, c'est bien non ? Et "appâter le moment du souper", encore une jolie formule.
J'ai vraiment ouvert au hasard. Allez, une dernière, que j'avais repérée celle-là, au début du livre, lorsque Baqué évoque le père de Louis et le taxi qui attend à l'aéroport, page 15 :
Le comptable, grâce à sa lecture propédeutique de guides, connaissait la rareté des taxis et craignait que les compteurs, s'il y en avait, obéissent à des lois relevant de la fluctuance quantique plutôt que de la belle prévisibilité newtonienne.
Savoureux, non ? Le livre fourmille de trouvailles et de formules bien senties. On pense à Desproges. C'est littéraire sans jamais être prétentieux. Un tout petit moins bon sur la fin ai-je trouvé : quand Louis devient une star mondiale, il m'a semblé que le côté "déjanté un peu forcé" prenait le dessus. Idem peut-être avec la scène du LSD sur le bateau. C'est ce qui me retient au bord du 8.
7,5